• La complexité fabriquéeJe discutais, il y a quelques temps, avec un homme politique de rang honorable, pas le modèle "journal de 20 h.", plutôt le modèle "France 3, journal régional". Mais pas con, loin de là. Et il me faisait observer qu'avec les chaînes d'information en continu "que voulez-vous, comme il faut remplir pendant 24h, il y a forcément un moment où on dit une connerie." Mais c'est beaucoup plus grave que ça, docteur! Non seulement il faut remplir 24h par jour, mais encore 365 jours par an. Et comme nous sommes dans un univers où la représentation l'emporte sur le réel, le gagnant est celui qui est en tête au nombre de minutes à la fin de l'année.

    studio-tv.jpgLa complexité fabriquéeFABRIQUES.- Comme- espérons le-  chacun l'a compris, il y a des fabriques de production de minutes qui s'appellent le Tour de France, Rolland Garros, les Jeux Olympiques et qui sous-tendent d'intenses activités commerciales. Là c'est du lourd. Des hautes cheminées dans le paysage, des longues usines avec leurs ponts élévateurs, etc. Les anniversaires aussi sont de magnifiques usines à production de minutes: l'anniversaire de la mort de Jaurès, l'anniversaire de l'insurrection de Varsovie et je ne parle même pas des années de ceci ou de cela. Là, on s'y prend à l'avance, on mobilise les intellectuels de rigueur, etc.

    Et puis il y a des start-up de production de minutes, des champignons après la pluie. Nous venons d'en traverser deux: les malheurs de l'UMP et la guerre à Gaza. Alors là, on est dans l'incontrôlé total. On produit de la minute à jets continus. Le matin, le rédac'chef sait même pas ce qu'on dira le soir, pour vous dire que c'est grave. Témoins: les manifestations propalestiniennes en France. D'abord, c'est génial: ça se passe à Paris, à une demi heure du siège des chaînes. Pas fatiguant, pas cher (Il faut savoir une chose: le direct ne coûte pas cher, donc plus il y en a mieux c'est). Comme les petits gars - pro ou anti- ont justement envie de passer à la télé parce qu'ils ont parfaitement compris l'histoire de la course au minutage, ils font le spectacle et, dès qu'ils voient un micro, ils causent. Les supposées "manifs pour tous" avaient parfaitement pigé le truc. J'avais souri à l'époque de voir que c'était un général qui les coordonnaient: c'est dire que rien n'était laissé au hasard dans le spectacle.

    La complexité fabriquéeCONNERIES.- Et, pour revenir à mon homme politique du début, dans tous ces cas, on dit des conneries à longueur d'antenne. Dans les vieilles fabriques de production de minutes, on a fini par se doter d'instruments qui en réduisent le volume. On a fabriqué des bases de données qui viennent au secours du malheureux commentateur. Dans les matches de tennis, on vous donne maintenant la vitesse de propulsion de la balle - ce dont tout le monde se fout, mais ça donne une apparence de rationnel. Dans le conflit de Gaza, ça n'est pas une question de rationnel, c'est la multiplication de la durée d'antenne occupée par le nombre de décibels atteints. Dire que l'entendement y gagne, c'est une tout-à-fait autre chose.

    Mais justement, une des questions que j'aimerais bien voir tranchées est de savoir si l'objectif final de beaucoup de ces opérations est non pas que l'entendement progresse mais qu'au contraire il régresse. Fabriquer un monde complexe, un chaos - ou, du moins, bien sûr, une prétendue complexité, un prétendu chaos- c'est encourager le simple pékin à s'en désintéresser. C'est l'encourager à en confier la gestion à une élite mystérieuse qui produit des minutes d'antenne. Et pas grand chose d'autre.


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  • Il n'y a pas eu libéralisation, il y a eu renoncementPourquoi cette déprime? D'où vient que nous ne croyons plus à grand chose? Il est difficile de ne pas observer une certaine convergence. Longtemps, il y eût, hors de la politique, dans la culture, dans les sciences, dans l'économie, des gagneurs qui incitaient à la fierté. Les classements internationaux nous disent que notre système éducatif français est à plat ou pas loin. Les grandes voix intellectuelles françaises qui traversaient la planète ne sont plus guère présentes. On fait un foin formidable de Thomas Picketty qui le mérite sûrement, mais ça ne fait pas beaucoup. J'ai cru comprendre que dans un certain nombre de disciplines classiquement fortes en France, les mathématiques par exemple, nous avions perdu les premières places. Il y eût un temps où, dans disciplines de l'industrie classique, nous étions respectés. Nous avons absolument raté le virage des technologies de l'information pour lesquelles nous ne pesons pour rien. Même pas le plus petit gadget qui ferait dire: "Ah! ces frenchies quand même". Non. Facebook et tous ses clones sont des inventions américaines, l'important se passe là ou en Asie. Le rapport Gallois, seule pièce majeure du quinquennat de Hollande jusqu'ici, est accablant. Malheureusement, 404_Cam_04_Presse.jpg1.-copie-1.jpgil ne fait rien avancer. L'effondrement de Peugeot est un mystère. Peut-on m'expliquer d'où il vient au fond, par delà des péripéties capitalistiques dont on sait bien qu'elles sont anecdotiques? L'important est ailleurs: Est-ce qu'une certaine communauté professionnelle qui avait été foutue d'envahir le globe par ses productions – souvenez-vous de la 404 à plateau en Afrique- en ait pratiquement disparu. C'est vraiment l'affaire de la mayonnaise cela: il y a des circonstances où elle ne prend pas. Et tout notre problème est là.

    Le monde politique est un élément du décor. Habituellement, il est comme en toile de fond. On le regarde de temps à autres pour s'en amuser. Mais, en réalité, il est porté par un mouvement général. Et lorsque la dynamique est là, il est dynamique.Et s'il est médiocre qu'importe, le reste compense.

    Chez nous, il s'est passé une drôle de chose. Comme le restant de la société s'assoupissait, le monde politique est passé au premier plan. Par surcroît, en son sein, Nicolas Sarkozy avait la fascination des projecteurs. Il les a concentrés sur lui-même. Mais comme il n'y avait pas de vraie dynamique derrière, il s'est écroulé. Il n'y a pas que le jeu de l'acteur, il faut qu'il y ait le scénario. Nous avons tous compris que ça n'était pas Hollande qui avait gagné mais Sarkozy qui avait perdu.

    Et voilà qu'avec les affaires de l'UMP nous prenons la mesure à la fois de l'ampleur des turpitudes de ce monde dont je ne sais si elles sont plus ou moins amples que celles des autres. Mais nous mesurons aussi que derrière, décidément, hors de ce champ politique, il n'y a pas grand chose. Je suis horrifié de ce que j'entends de la jeune génération sur la France, un désarroi, un mépris...

    Il n'y a pas eu libéralisation, il y a eu abandon, renoncement. Les discours sur le libéralisme et la mondialisation sont courts. Ils ont ceci de satisfaisant pour leurs auteurs que, truffés de chiffres, ils donnent l'illusion d'une expertise. Mais il ne s'intéressent pas à la volonté. Et comme ceux qui peuvent encore tenir le monde – enfin pas le monde, leurs petits intérêts de ce jour, à peine ceux de demain- sont très décidés, ce sont eux qui s'imposent. En réaction, l'immense besoin d'une volonté claire s'affirme.Une volonté publique, une volonté commune.

    J'étais très frappé de lire dans Médiapart une longue enquête auprès de jeunes cadres de l'UMP qui disent leur dégoût et leur désarroi mais qui ajoutent: “il faut que nous réfléchissions à ce que nous voulons, à ce que sont nos valeurs”. Ca pourrait paraître très bien, mais pardon messieurs-dames: si vous êtes dans un parti, n'est-ce pas parce que vous voulez quelque chose, parce que vous avez une intention? Qu'est-ce que c'est que ce monde où on commence par adhérer à un parti pour ensuite se demander ce que sont les valeurs à y défendre? Il faut remettre de l'ordre dans tout cela.

     

    1958FacelVega_resized.jpg PS.- Lorsque j'ai cherché sur internet une photo d'une 404 à plateau, l'essentiel de celles que j'ai trouvées représentaient des voitures dans des casses... quel symbole!

    Alors, pour me venger, j'ai recherché une photo d'une splendeur française dont on a même oublié que nous avions su la concevoir: la Facel Vega, ci-contre (j'aurais pu choisir la DS 21). Petit rappel, ce bijou (dont il est juste de reconnaître qu'il peina à vivre) avait été lancé par Jean Daninos, le frère de l'écrivain Pierre Daninos (Les carnets du Major Thompson).


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  • claire-thepaut.jpgC'est un classique du genre. Lorsqu'on est dans une situation de crise, on se décharge sur un ennemi qui sort opportunément du chapeau. Nicolas Sarkozy vient d'en faire la démonstration à propos des affaires dans lesquelles il est pris jusqu'au cou. C'est la magistrature qui voudrait lui faire la peau. C'est peu d'écrire que c'est une pure ânerie. On imagine la pauvre petite bonne femme qui s'est trouvée devant lui, magistrate -Claire Thépaut (photo)- à 2500 euros par mois lorsque le vent souffle, totalement dépendante pour son avancement des pouvoirs politiques et qui prendrait le risque de compromettre toute sa carrière sur pareille affaire. Il est passablement déshonorant de la part des groupies de l'UMP d'avoir osé - surtout pour ceux d'entre eux qui sont protégés par l'immunité parlementaire!- s'en prendre à elle. Glissons même sur le fait que les mises en cause qui lui furent adressées (présidente du syndicat de la magistrature, auteure d'une tribune) se sont rigoureusement toutes avérées fausses.C'est une des spécialités de la droite, tout particulièrement dans la version extrême, de salir les personnes faute d'avoir des idées.

    Mais la posture du résistant face à l'ennemi est une construction classique du récit en défense. L'autre classique étant de répondre à des critiques qui n'ont pas été portées, mais, en l'espèce, ce ne fut pas le cas.

    Je suis frappé, je dois le dire, par l'extrême prudence de la presse française qui ne contre attaque que modérément, comme dans l'attente des réactions de l'opinion aux propos de Sarkozy. Ca ne l'honore pas beaucoup.


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