• Pourquoi les digues lâchent Notre crise est d'abord morale. La convergence du flux des migrants, de la grande faiblesse de notre économie à créer des emplois a mis à terre le débat public. Et comme, en apparence, il ne restait que les partis pour proposer des solutions, ils se sont risqués sur le terrain des valeurs. Stop. Leurs affaires se sont les programmes, pas les valeurs. Naturellement, les programmes doivent être sous-tendus par des convictions, mais on voit bien qu'elles ont  totalement disparu. Les partis sont strictement réduits au rôle d'écuries pour des candidats. Le pays vrai s'exprime dans une foultitude d'associations et de groupements, parfois informels, qui le font changer. Ceci sans rien dire de l'immense concours de l'initiative totalement privée. Il faudra un jour dire ce que Facebook a changé le monde.

    Par un réflexe pavlovien, la plupart de ceux qui tentent des rénovations les portent sur le terrain politique. Ils sautent une marche. Ils négligent les valeurs individuelles, les vraies convictions. Ils se précipitent dans l'action politique, pondent des tracts, rédigent des proclamations, courrent aux urnes. En somme, l'illusion vient par le mouvement. C'est le drame des écologistes, des mouvements alternatifs, des Nuits Debout et autres... Ils se trompent de terrain. Le retrait des mouvements de pensée, des églises a laissé le champ libre à ce qu'il y avait de pire, à tous ceux qui ne comptent qu'en voix gagnées. On ne formule bien des programmes d'action collective que si l'on s'appuie sur des individualités à la pensée fortement articulée.

    Oui, nous avons des contradictions. Non, il n'est pas simple d'accueillir des populations qui n'ont pas la même culture que nous. Et non ce n'est pas qu'une affaire de crédits. Oui, notre trouble vient de ce que des populations arrivent qui mélangent le religieux et le politique ce qui nous est étranger depuis un temps relativement bref à l'échelle de l'histoire. Mais c'est en affirmant tranquillement des valeurs qui, avant d'être collectives doivent être individuelles et surtout bien construites, que nous pouvons être compréhensibles par les autres. Or, trop nombreux sont ceux qui ne savent plus eux-mêmes où ils en sont. Ils ne peuvent plus se situer que par opposition. Lisez Facebook: ce ne sont qu'attaques.

    Ceci nous demande un immense travail: un retour sur nous-mêmes. Il ne faut pas se précipiter dans l'action collective sans avoir soi-même la force et les arguments pour préciser ses positions. Il est assez probable que les dix ans qui viennent sont perdus et laisseront aux voraces tout le temps de satisfaire leurs appétits. Mais il faut reconstruire depuis la base. Et la base est en chacun d'entre nous. Elle suppose une clarification et une reformulation face à nos propres ambiguïtés privées. On ne fera pas l'économie de cela.


    4 commentaires
  • La croisade des longues figures

    Dans mon petit coin de Drôme se trouve une localité - Allex- où, avec une grande maladresse, la préfecture vient d'annoncer l'ouverture d'un centre d'accueil pour réfugiés. Fureur. Bronca. Toute une partie de la population se soulève. "La virginité de nos filles est menacée". "Ils vont nous voler, peut-être même nous tuer." Le Front National, bien sûr, s'en mêle et organise une manifestation, tandis qu'en face Nuit Debout en mène une autre en sens inverse. Toute la valetaille des élus qui ont quelques voix à grignoter vient dire sa solidarité avec un maire, Gérard Crozier, conservateur molachu qui, le dos au mur, décrète qu'il y aura référendum, histoire de se donner une issue politique que l'on connait déjà. Là où il fallait du courage, des convictions fermes - Mme Merkel, qui n'est pas une gauchiste, n'en manque pas- on a droit à une petite combine. Car le fond de l'affaire est une sidérante absence de force morale.

    La tension ainsi créée - et assurément aussi l'absence de concertation des autorités préfectorales- ajoute à l'atmosphère empuantie du temps. Naturellement, il ne faut pas dissimuler que l'affaire avant d'être politique est humaine. Un sentiment diffus de peur existe, savamment entretenu par toute une racaille politicarde. L'abjection d'une partie des élus est de s'y être engouffrée et d'en faire sa cuisine, quand ça n'est pas par pure veulerie.

    La croisade des longues figuresA tous ceux-là, je dédie ce texte: " Nous qui avons appris dans le siècle nouveau à ne nous étonner plus d'aucune explosion de la bestialité collective, nous qui attendons de chaque jour qui se lève des abominations pires que toutes celles qui ont précédé, nous sommes singulièrement plus sceptiques quant à la possibilité d'élever moralement les hommes. Nous avons du donner raison à Freud quand il ne voyait dans notre culture qu'un mince sédiment qui à chaque instant peut être crevé par les puissances destructrices du monde souterrain, nous avons du nous habituer peu à peu à vivre sans terrain solide sous nos pied, sans droit, sans liberté, sans sécurité."

    Ce texte est extrait du "Monde d'hier" de Stefan Zweig. Il était juif. Il avait sur les défaillances morales de ses contemporains une vue pénétrante. Il s'est suicidé en 1942, le lendemain du jour où il a envoyé le manuscrit de son texte à son éditeur, texte qu'il faut absolument relire. Tout, absolument tout, est d'une totale actualité. Ces jours-ci, les longues figures qui cherchent à pactiser avec les "forces de la bestialité collective", pour reprendre la formule de Zweig,  étaient en photo dans le journal. J'emprunte mon titre à l'écrivain d'entre-deux guerres d'extrême droite Henri Béraud, pour que les élus en cause se sentent plus à l'aise.


    1 commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires