• Dans l'avalanche des nouvelles

    Dans l'avalanche des nouvellesIl advint un jour que le Canard Enchaîné se paya la fiole du Dauphiné Libéré parce que le journal avait passé un entrefilet dans son édition de l'Ain signalant "une panne d'électricité à la centrale nucléaire du Bugey" alors que, dans les faits, c'était tout le système de contrôle électrique de la centrale qui avait sauté. En clair, la centrale était devenue folle et plus personne ne maîtrisait quoi que ce soit. Inutile de dire que quelques confrères se firent remonter les bretelles. Mais ils eurent beau jeu de montrer que EDF, l'exploitant de la centrale, leur adressant pratiquement une information  par jour, sous l'avalanche, ils avaient (à tort) fini par céder. Et il est vrai que ces informations étaient du genre: "Accident sur le parking de la centrale du Bugey: un phare brisé" ou bien "Une femme enceinte prise d'un malaise à la centrale du Bugey". Comme l'on voit, c'était très malin comme politique de communication. Il s'agissait de tout banaliser. Une autre affaire du même ordre eût lieu à Feyzin (Rhône) lorsqu'un wagon plein de l'usine Péchiney tomba dans le Rhône et que l'entreprise diffusa un communiqué disant qu'"un récipient était tombé dans le Rhône". Tu parles d'un récipient! Des milliers de poissons morts.

    Dans l'avalanche des nouvellesQU'EST_CE QUI EST IMPORTANT?- Les histoires que je viens de raconter sont anciennes. Mais tout est devenu bien pire. La banalisation des évènements bat son plein. Franchement, je ne sais pas si ce qui se passe en Irak, si les supposées menaces islamiques, si l'absence de soutien de l'Allemagne à la France, bref si tout cela est grave. Je veux dire vraiment grave. S'il y a un enjeu durable à long terme. Je ne suis pas plus bête qu'un autre, je devine des problématiques mais je reconnais volontiers que je ne hiérarchise Dans l'avalanche des nouvellesplus. Qu'est-ce qui est le plus important? Et ensuite? Et ensuite?  Et ce n'est pas faute de savoir. Diable, que non! Ah pour savoir, comme n'importe qui d'autre, je sais. Mais je ne mesure pas. Je ne mesure plus. Je croule.

    Dans l'avalanche des nouvellesJe suis encore un peu journaliste, moins qu'avant, mais je conserve des responsabilités. Le public n'a pas idée du nombre de sollicitations par jour, je pourrais presque écrire par heure, auxquelles on est soumis. Donc, oui, les journalistes eux-mêmes hiérarchisent moins bien. Parce que pour penser, pour soupeser, pour aller faire un tour à la documentation, appeler un copain qui connaît le secteur, etc. il faut du temps. Et je ne vous dis rien lorsqu'on vire dans le subtil, dans ce qui suppose une vraie culture de la spécialité. Je me souviens d'une conversation avec un de mes confrères spécialisé dans l'information religieuse accablé qui me raconta avoir reçu, quelques minutes avant notre rencontre, un appel d'une consoeur généraliste qui avait à traiter des églises évangéliques dans les élections américaines et qui lui lança: "C'est des sectes, hein?" La pauvre fille avait un quart d'heure pour se faire une opinion et, dans la masse d'infos sous laquelle elle croulait, elle avait cru voir ça.

    Dans l'avalanche des nouvellesFORCÉMENT, ON DIT UNE CONNERIE.- Il y a peu, Didier Guillaume, président du Conseil Général de la Drôme, personnage sympathique et efficace, me disait: "Que voulez-vous, avec les chaînes d'informations en continu où ils ont besoin de meubler pendant 24 heures, il y a forcément un moment où ils disent une connerie." Bien vu, Monsieur le Président. Contrairement à ce qu'on croit le problème n'est pas la dissimulation, c'est le bombardement. J'ai eu l'occasion d'écrire ailleurs combien j'étais peu impressionné par les théories du complot, mais combien j'étais accablé de voir tant de mes contemporains y croire. Mais c'est sans rancune! Je les comprends! Le sentiment absolument fondé de "déjà vu" (qu'explique l'avalanche que je viens de décrire) fait naître le soupçon que si on en dit trop, tant, tout le temps, c'est qu'on veut cacher autre chose. C'est humain.

    Un des résultats est que toute institution, tout personnage qui pose comme étant "à la marge", "politiquement incorrect", comme ils disent, apparaît comme un génie, comme celui qui, enfin, dira la vérité.. Le connard qui vient dire que 1+1=2 est aussitôt assimilé à un complice du grand capital, un "chien courant du capitalisme" (comme disait Lénine), un porte-parole de l'idéologie dominante. Et les médias, parfaitement avertis de leurs propres dysfonctionnements - faut pas prendre les gens pour des cons- en viennent alors, "pour compenser" à donner la parole à des espèces de gourous improbables que le bon sens devrait éliminer au plus vite.

    Dans l'avalanche des nouvellesDans l'avalanche des nouvellesCUISSES PROPRES.- C'est l'effet pervers de l'avalanche. Mais au passage, je voudrais faire remarquer qu'il y a peu de profession autant que celles de la presse qui rendent publiques leurs propres bourdes. Je n'ai connaissance ni pour les médecins, ni pour les garagistes, ni pour les notaires, ni pour les professionnels de l'immobilier, surtout pas pour les financiers que soient rendues publiques leurs erreurs par eux-mêmes.  Je viens même d'apprendre s'agissant de M. Aquilino Morelle, conseiller de M. Dans l'avalanche des nouvellesHollande, qui avait fâcheusement touché une rémunération d'un laboratoire pharmaceutique lorsqu'il était au Ministère de la Santé... que l'Ordre des Médecins ne le poursuivrait pas. Il est impossible de ne pas voir - sauf mauvaise foi- que le jeu normal de la concurrence aboutit à ce que les grosses fautes journalistiques sortent. C'est la Croix qui publie chaque année à ses frais un baromètre de la crédibilité (en général chancelante) de la profession. Ce sont bel et bien des journaux qui ont sorti l'affaire de l'interview bidon de Castro par PPDA. La crise à Libé, au Monde, à Nice-Matin, elle est partout.

    Il n'a pu échapper à la sagacité de personne que M. Mélenchon s'est fait un fonds de commerce dans les charges contre la presse. Et assurément je veux bien lui donner raison souvent. Je m'étonne seulement que, tant qu'à se donner un bouc émissaire, il n'ait choisi ni les assureurs, ni la téléphonie mobile, ni les notaires, ni les huissiers, ni les agents immobiliers. Il est vrai qu'eux, ça se voit moins.Et puis surtout, avec ceux là, il n'a pas besoin de créer un rapport de force. Avec les médias, dans sa position, c'est autre chose.  Je veux bien qu'on donne des leçons, mais à condition d'avoir les cuisses propres.


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 25 Septembre 2014 à 16:48

    M. Legros me fait connaître via FB le commentaire suivant:

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    Pour retrouver du temps disponible vers l'information, pas ce qui nous est servi par les grands médias, il faut aller la chercher sur internet ; Médiapart, Arrêt sur Images, médias INDEPENDANTs vivant de leurs lecteurs ; Rue 89, ça va aussi ; s'apprendre à déceler les sources crédibles ; s'apprendre à filtrer ; mutualiser les sources repérées. il y a aussi, toute la presse alternative, internet & papier ; et là, on s'aperçoit de tout ce qui est caché, jamais dit ; Fukushima - réacteur n° 4 (celui du Mox) qui depuis 3 ans 1/2 continue de déverser ses saloperies irradiées mortelles, l'eau de moins en moins potable, oui, en France ! Quel média a fait faire des analyses complètes ? idem sur la production alimentaire : élevage et agriculture ; seule, la production 'Bio' est contôlée, un comble. La santé de la population française ? Pas brillante ; c'est le triomphe du médical ! du tout cancer et maladies dégénératives. (Quel média a signalé que Christine Lagarde travaillait pour Monsanto ? Bachelot pour Pfizer ? Etc. Etc.) Alors que la Santé, c'est tout le contraire, c'est quant on se passe du médical ; pré-ve -nir. Idem les infos sur les énergies renouvelables etc. Dès 1974, René Dumont alertait le pays. Les écolos, lanceurs d'alerte n'ont cessé d'être stigmatisés par les grands médias ; cela se passe-t-il mieux dans les autres partis ? Vous savez bien que c'est pareil. Bon, je m'arrête là...

     

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    2
    Jeudi 25 Septembre 2014 à 16:58

    Cher M. Legros,

    Nos deux propos sont complémentaires. Faut-il dire que je ne peux raisonnablement pas avoir d'objection à ce qu'un citoyen averti cherche ses propres sources. Je vous trouve sévère pour les "grands médias" sur un certain nombre de thèmes (production alimentaire, énergies renouvelables, etc. Mais j'avais bien compris à un certain nombre de vos posts que vous n'y trouviez pas votre compte, ce que j'entends fort bien. Ceci dit, comme je l'ai montré ici, je suis hautement sceptique quant à la possibilité de créer un nombre significatif de "médias indépendants" vivant exclusivement de leurs lecteurs à des échelles locales et régionales. Le volume des fonds à lever - comme on n'en a hélas trop peu conscience est considérable. Je redis que le "bassin de clientèle" de Médiapart est la francophonie dans son entier. Vous pensez bien que trouver 12 000 contributeurs ( au moins) à l'échelle d'un département est, hélas, difficilement atteignable.

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