• Dans le désert de presse qui s'annonce

    Je suis épouvanté par le désert de presse qui s'annonce. L'Express et l'Expansion à vendre! La New Republic, vénérable institution américaine dont tous les rédacteurs prestigieux ont démissionné parce qu'ils refusaient la politique sensationnaliste sur le net imposée par une nouvelle direction. Partout où l'on pose le regard, on voit s'effondrer des titres. Arte a pu faire un documentaire spéculant sur une prochaine disparition de Libération.

    Or, il faut bien voir, une fois pour toutes, que tout ne se vaut pas. Je suis bien désolé mais des sites internet DE RÉFÉRENCE - non pas du grand n'importe quoi- c'est rarissime. Pour être honnête, je n'en connais pratiquement pas. La bonne nouvelle que constitue, au grand mérite de son fondateur, Médiapart est une pépite dans un océan de merde.

    Dans le désert de presse qui s'annonceDE BEAUX RESTES.- Certes, me dira-t-on, mais il y a aussi un océan de médiocrité dans la presse telle qu'elle est. D'abord, j'en suis moins sûr qu'on ne le dit dans ce discours systématiquement dévalorisant qui court l'époque. Il y a des excellents journaux. Books est remarquable. Courrier International est d'une grande richesse. Les Échos (qui à ma connaissance, ne vont pas bien non plus) sont bien conçus dans leur genre très particulier. Le Monde a tout le même de beaux restes... La liste reste longue.

    Dans le désert de presse qui s'annonceCe qui est en cause, ce sont d'abord paradoxalement un ensemble de phénomènes physiques. D'abord, si on admet que la seule chose qui n'a pas varié, c'est le nombre d'heures dans une journée, il faut prendre acte que  sur ce nombre d'heures dans une journée, le temps passé sur internet a pris une part non seulement croissante mais stupéfiante: 4,1 heures par jour (ordinateur), 1 heure (mobile). Comment trouverait-on le temps de lire, si l'on doit tenir compte de ce qu'on travaille tout de même et qu'en plus on regarde abondamment la télévision?

    Par ailleurs, la diminution drastique du nombre de points de vente (notamment parce qu'ils perdent des commissions sur des ventes de presse en baisse) réduit évidemment les chances du simple citoyen d'acheter un journal. Enfin, la sensible détérioration des prestations de La Poste pour la livraison des journaux fait que les abonnés désertent.

    Dans le désert de presse qui s'annonceILLUSION.- On me dira que ça n'est pas grave, que des sites internet vont remplacer la presse. Non. C'est une illusion. Parce que pour qu 'une presse solide et sérieuse existe, donc pour qu'elle rémunère ses rédacteurs qui fassent un travail consistant de collecte et de vérification de l'information, il faut que les sites en question soit drainent des masses significatives d'abonnements, soit représentent des bassins de clientèles suffisants pour que les annonceurs veuillent bien suivre. J'ai eu l'occasion de montrer ici que les sites qui marchent vraiment, ce sont ceux qui paient du personnel. S'agissant de la meilleure des hypothèses, c'est à dire la souscription d'abonnements, il se trouve que nous avons une réponse paradoxale par le succès de Médiapart qui revendique en France entière 100 000 abonnés. Bravo. Mais ça veut dire, par conséquent autour de 1000 abonnés par département (encore ce raccourci est-il dangereux étant donnée la surreprésentation vraisemblable de la région parisienne, région de pouvoir, dans ces 100 000). Je défie quiconque de monter un média solide et crédible dans un département avec 1000 abonnés (ou alors, c'est, à une échelle nationale et non départementale, comme Presse News, avec un abonnement autour de 450 euros). Il en faudrait bien plus pour réunir les sommes nécessaires.

    Envisageons maintenant, l'éventualité d'un financement par la publicité. On peut penser que les grands annonceurs suivraient, mais pas  l'immense masse des petits, cette solide publicité locale qui est autant indispensable au média parce qu'elle est fidèle, qu'à l'annonceur (le plombier, l'électricien, etc...) parce qu'elle lui maintient une visibilité. Dans les modes mêmes de sa publicité (clips de grands parfumeurs, de marques automobiles), internet n'est pas du tout adapté à ce public. Ce sont des annonceurs qui veulent un mode de publicité simple, élémentaire même. Internet ne sais pas faire ça. Et le plombier ne tournera pas de clip.

    Ne nous y trompons pas. Ceci va avoir des effets induits qu'on a déjà  vu ailleurs par la constitution de grands groupes qui auront, eux, les moyens  d'une communication globale. Comme l'on sait, une partie de la grande distribution ou des transporteurs fonctionne déjà comme ça (Intermarché avec des investisseurs locaux mais rattachés à une centrale nationale). Par ce biais tout à fait secondaire de la communication, nous allons assister à des regroupements qui feront perdre son âme locale, leurs vraies personnalités à des prestataires de service.

    Dans le désert de presse qui s'annonce 

    Si vous voulez savoir pourquoi on ne lit plus du papier regardez cette photoDU VOL.- Donc, en tous cas localement, je ne crois pas à une économie équilibrée de la presse internet seule (appuyée à un média préexistant, c'est autre chose). Rappelons, par exemple, qu'à Dijon un site qui se voulait un média autonome annonçant les activités des forces locales, à côté d'une fonction journalistique classique, s'est effondré. Idem pour un groupe de sites internet sur le même principe fondé à travers toute la France par le Télégramme de Brest. Les actuels sites internet des journaux ne marchent que parce que les équipes des journaux papiers se dédoublent. En clair, le papier finance internet. Il faut bien voir que les grands succès d'internet en matière d'information ont été financés par le vol. Par exemple, le grand succès des portails Google news, ou Yahoo news qui reprennent sans vergogne les titres de journaux, faits et donc financés par d'autres, est profondément choquant. Il y a du mérite à créer de nouvelles formes d'économie, pas à voler les autres.

    Dans le désert de presse qui s'annonceOn peut dire que peu importe la disparition de la presse dans la mesure où on n'aime pas les articles des journalistes. Mais il y a toute la fonction sociale de la presse: l'annonce des activités des groupements, associations, sociétés, syndicats. Une fois encore pour qu'on puisse transférer cette activité de porte-voix sur le net, il y faut un financement. Je viens de démontrer que les modes actuels ne fonctionneraient pas. Alors, on me dira que reste ouverte l'éventualité d'un financement public (donc soumis au politique). En dehors du fait que, dans le contexte présent, cette éventualité est comique, cela ne nous garantit pas que le lien de confiance, la vocation fédératrice de la presse seront maintenus.

    Lu sur un site pourtant actifJe vois bien la grande indifférence que suscitent ces considérations en général. Peut-être faudrait-il cependant que chacun réfléchisse bien à ce que signifierait très concrètement l'impossibilité pour les troupes de théâtre locales, les associations, les groupes sportifs, les mouvements politiques d'annoncer leurs activités. Acceptons l'idée du désert de presse. Mais avec lui le désert de tant d'activités?


    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :