• Là bas vers Couspeau, lorsque souffle le vent fort

    Chez nous, on parle du Val de Drôme. Appellation trompeuse. Montez donc sous les a pics des Trois Becs ou de Couspeau. Là, de “val” il n'est plus question. Voici par exemple La Chaudière, qui est un de nos villages les plus isolés, sous les Trois Becs. Elle eût la rude existence de ces localités qui n'intéressaient pas grand monde. On dit que les Maures l'auraient pillé en 731. Mais quand même! Le pape en personne – Urbain II exactement- savait qu'elle existait puisqu'on a une lettre de lui de 1005 où il mentionne une église “Ecclesia Calcium in Diensi”. En 1145, la localité jusque là propriété des comtes de Valentinois passe aux évèques de Die. En 1577, les guerres de religions y font rage puisqu'il faut pas de 24 porteurs pour évacuer les blessés vers Saillans, puis Beaufort. En 1639, on en trouve mention sous l'orthographe sous la forme La Chodière. En 1793, saisie apparemment d'ardeurs révolutionnaires, elle a sa “Société Populaire”. On mesure l'incroyable écart de peuplement entre aujourd'hui (25 habitants) et l'époque (143 en 1832) ce qui montre combien on pouvait alors accepter des existences rudes. En 1848, la Vierge apparaît au lieu dit Les Sadoux, du nom d'une famille ainsi nommée, qui vont devenir le lieu d'un pèlerinage. Le problème est que l'ardeur à cette dévotion va se perdre. On raconte qu'un vieux garçon d'une famille Brun eût l'idée pour le relancer d'aller chercher des cerises qu'il mit dans des chênes et fit circuler le bruit qu'un nouveau miracle avait lieu: des cerises poussaient dans des chênes. C'était son truc à lui pour relancer le pèlerinage. Il a fallu attendre 1956 pour que le village soit électrifié et l'ancien maire Raymond Patonnier (photo et ci-dessous avec ses boeufs)), lui, n'eût l'eau au robinet qu'en 1981. Il est le fils de Henri Augustin Patonnier, propriétaire des 150 hectares qui se trouvent juste de l'autre côté du col de La Chaudière lorsqu'on bascule sur Bézaudun-sur-Bîne. Partout là autour la pente est terrible. Longtemps on ne put que faire travailler des boeufs en raison de la déclivité des terres. Raymond Patonnier raconte que le problème des tracteurs lorsqu'on faisait les foins était que le foin pouvait se coller sous les roues du tracteur et finalement celui-ci partir en luge dans la pente.

    Dans ce pays, il n'était pas facile de se marier. Une anecdote avait été recueillie en 2001 par une petite équipe soucieuse d'histoire locale – l'association Signal Culture- auprès de M. Paul Garzini. Il avait alors raconté comment au hameau des Hoirs, se trouvait une famille fort bien, les Gleize, qui avaient six filles. A quelques distances de là, au village de Savel, se trouvaient les Mège qui étaient toujours en train de bouger, raison pour laquelle on les avaient appelé les Crépitous. Et parmi eux, un gars haut comme trois pommes, il mesurait 1, 55m. Le propre grand père de M. Garzini, colporteur de son état, avait été sollicité, par M. Mège père pour qu'il trouve une femme à ce fils là. C'était un assez bon parti: plus de deux cents brebis, sans compter les noix et les truffes. “Mais c'est bien facile dit le colporteur en patois. Prends la Courance à la remonta, va chez les Gleize. Des femmes, il y en a six.” Ce que fit donc le père le dimanche suivant. Il prit deux musettes, l'une pour mettre sa veste et un peu de “biasse” pour manger, dans l'autre deux bouteilles de bon vin pour boire. Et le voilà qui monte, qui passe le hameau des GlLà bas vers Couspeau, lorsque souffle le vent forteyzolles, franchit le col de la mort, et remonte la vallée de la Courance et arrive chez les Gleize.

    • Mais quel bon vent t'as vu Crépitou, lui dit le père Mège qui l'attend sous le calabert (l'auvent).

    • C'est Garcin, le colporteur, qui m'a dit que tu avais des filles à marier.

    • Il y en a six. Entre donc.

    • Non, non, j'attends là. Fais les sortir.

    Comme bien l'on pense, c'est ce qui se passa et le père Mège choisit celle qui mesurait 1,85m. Plus tard, lorsqu'on lui demanda pourquoi il avait choisi celle-là, il expliqua: “Je l'ai choisie si grande pour faire les meules de foin”. C'est qu'en effet, le fiston avec son mètre cinquante cinq était un peu embarrassé. Jusqu'à la fin de la guerre, il eût par exemple une énorme Citroën B 14, aux allures de paquebot. Il lui fallait monter sur un jerrycan mis sur son siège pour voir la route. C'était un audacieux. Comme la Roanne, en face de chez lui pouvait devenir grosse l'hiver, il avait tendu au travers de son cours deux câbles, l'un à hauteur de ses pieds l'autre, à hauteur de ses bras. Comme cela, l'hiver harnaché de trois musettes, il pouvait la franchir en marchant sur le câble. Dans la première musette, il mettait son chien, dans la deuxième de quoi manger, la troisième était prévue pour les truffes qu'il ramasserait.

    On est là dans ces pays de notre région où tout est conditionné par les hauteurs, leur rudesse, leurs colères. Un peu plus loin – oh pas très loin à vol d'oiseau, mais si loin en voiture- se trouve Couspeau, le massif jumeau des Trois Becs. Et, en dessous, ce sont les Tonils. Là vit l'ancien berger Bruno Palayer. Tout le monde, dans le pays sait qu'il eût un grand malheur en cette terrible journée de 1981 où, par la faute de deux chiens errants, pas moins de 300 de ses moutons – vous avez bien lu- furent tués dans sa bergerie, non pas que les chiens les aient tous attaqués mais plutôt que la panique qu'ils provoquèrent, les jeta les uns sur les autres. Ils furent ainsi étouffés.

    Dire que Bruno Palayer (en photo avec sa femme)  a aimé ses bêtes, c'est bien trop peu dire. Il les a adorées, il les a étudiées, il en a perfectionné la race, ayant choisi, contrairement aux coutumes locale, d'implanter chez nous des mérinos, connus pour leur laine fine.

    Il s'est battu et plus qu'un peu car il y eût dans cette affaire une vilenie qui aboutit à le dessaisir, en 1992, de « sa » montagne, comme il dit tout le temps, le Couspeau, cet immense domaine de plusieurs centaines d'hectares qu'il avait constitué pièce à pièce, achetant ici, louant là. Il faudrait être Jean Giono, Henri Bosco ou André Chamson pour savoir bien raconter ce petit complot de campagne où se trouvèrent mêlées banques, élus, administrations, hommes de loi plus ou moins honorables. Vingt ans sont passés. Par un plaisant clin d'oeil du destin certains qui s'étaient prêtés à cette opération peu glorieuse ont fini par faire de mauvaises affaires, d'autres sont morts. Laissons les à leur sommeil éternel. Mais jamais nulle part quiconque ne pourra dire qu'il est honorable de faire racheter à quelqu'un sa propre maison. A l'instant de le quitter, au moment de l'ultime poignée de mains, il lâcha: « Vous savez, nous on n'est pas des méchants, alors, des fois, les larmes viennent ».

    Mais il faut oublier tout cela parce que c'est la passion de Bruno Palayer pour les moutons qui le porte encore.

    Né dans une famille de neuf enfants à Hostun, d'un père qui y tenait une carrière, Bruno Palayer a tôt voulu devenir berger, en souvenir des trois sous qu'il gagnait chez le voisin lorsqu'il lui donnait un coup de main pour la récolte du tabac. Le voici donc à Rambouillet où l'on forme des bergers mais où en cette fin des années cinquante on ne peut le prendre qu'en auditeur libre. Un matin, se présente un rude gars, Louis Piton, qui demande un stagiaire pour l'aider là, maintenant, tout de suite. Un dur le Piton. Mais aujourd'hui Bruno Palayer lui rend hommage. Et d'abord en souvenir de la promesse que lui fit alors le directeur de l'école de Rambouillet: « Si vous tenez un an avec ce gars là, ça vaudra un concours d'entrée et je vous reprends en deuxième année. » Ce qui arriva avec le bénéfice d'une fameuse expérience. « Piton, c'était un dur, mais la sensibilité n'était pas loin ». Et puis, le voici à la sortie de l'école, embauché par les frères Buna, dans la plaine de la Cros, transhumant deux mille bêtes avec eux dans le Queyras, allant saluer à l'occasion les bergers italiens. « Ah, eux c'étaient des sacrés travailleurs. Non seulement, ils gardaient les bêtes mais en plus ils fabriquaient du fromage ».

    Il y eût la guerre d'Algérie et puis cd jour où, au volant de sa vieille 2 CV, il passe le col de Lunel, parce qu'il a entendu parler d'une ferme à vendre. «  Ah, lorsque j'ai vu Couspeau au loin, cette montagne bleue, je regardais la montagne et plus la route. J'ai tout de suite su que c'était là que je voudrais être. » Et le voilà qui s'installe dans une ferme en mauvais état qui loue ici, passe des accords là, achète encore et aujourd'hui encore lorsqu'on regarde depuis le sommet de Couspeau l'immensité du domaine aride qu'il tailla à ses bêtes, on en reste un peu soufflé. Il eût là 830 hectares.

    Mais ce sont les bêtes qui sont ici importantes. Il faut voir comment s'illumine son visage lorsqu'il raconte comment il préféra les mérinos, plus légers dans les rudes pentes du Couspeau que la traditionnelle race des Préalpes du Sud. « Mais j'ai fait un croisement pour que mes bêtes aient des qualités adaptées à la configuration de ces pâturages en particulier ». Il faut l'entendre parler jusque dans les moindres détails du moment où il mettait « les béliers en lutte », comme l'on dit, c'est à dire comment il organisait la reproduction. Et le voici encore qui raconte à quelles dates exactes il faisait manger ses bêtes, six cents ou sept cents à la belle époque, ici en alpage, là dans les prairies de fond de vallée. Il faut l'entendre raconter comment il improvisa une route sur laquelle il fit rouler le premier 4X4 Toyota du département. « C'est que, jusque là, je montais tout l'approvisionnement de mon berger sur le dos, deux heures de rude marche. » Rien, rien, rien n'était laissé au hasard et tel était le bonheur de Bruno Palayer. Et en dépit des avanies que nous avons dites, à l'instant de ce séparer, il dit: « Vous savez, j'ai eu une vie très belle, très rude mais très belle »

     

    La dynastie des LapraLà bas vers Couspeau, lorsque souffle le vent fortEN PUBLIANT CE TEXTE, J'OFFRE GRATUITEMENT UN ÉLÉMENT DES ARCHIVES DU CRESTOIS. MAINTENONS DANS NOTRE RÉGION UN JOURNAL INDÉPENDANT QUI NOUS SOUTIENT.

     

     


  • Commentaires

    1
    Lundi 15 Septembre 2014 à 19:20

    Merci pour tout ces récits. C'est un vrai plaisir pour moi que de les lire. Je me passionne pour l'histoire et les histoires de ce pays, et surtout des portraits de ces femmes et de ces hommes qui l'ont façonnée 

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    2
    Lundi 15 Septembre 2014 à 19:31

    Merci à vous Gérard

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