• Nous avons oublié la république

    Je vis dans un petit coin de Drôme où fut toujours vissé au coeur des riches et des pauvres l'idée qu'ils étaient unis par une certaine idée d'un patrimoine commun: la République. Être républicain, c'était important. C'était ce qui transcendait le reste. 

    Je sais bien que je vais me faire incendier par ceux qui voudront à toutes forces que les patrons aient exploité leurs ouvriers et je cède volontiers sur ce terrain là. Mais il y avait une transcendance: lorsque vint la guerre, le principal patron local, le papetier Latune, fut membre d'un réseau de résistance, arrêté et déporté. Il parvint à sauter du wagon qui l'emmenait dans un camp.  Dans le même village, Mirabel et Blacons, il y avait un boulanger, Izier, dont le fils allait à Marseille chercher des juifs pour les planquer dans la campagne environnante. Et je connais bien une des familles où on les cachait qui n'était pas dans la misère. Mais elle le faisait parce qu'elle sentait cette transcendance de l'idée de République. Et c'est un bonheur pour moi de pouvoir écrire qu'elle le sent encore, comme, heureusement, bien d'autres.

    Il y avait, là-dedans, quelque chose de spontané, d'irréfléchi, un ciment qu'on n'expliquait pas bien. Il y avait, dans cette petite région des pieds du Vercors, des gens de droite et de gauche, des riches qui n'avaient pas envie de partager et des pauvres qui auraient bien pris leur place. Mais il y avait quelque chose au dessus. Je me souviens avoir tourné un film pour France 3 à Bourdeaux où j'ai interrogé une juive réfugiée pendant la guerre. Elle se prénommait Elsie et je suis inconsolable d'avoir oublié son nom de famille. Et elle m'a dit: "Vous savez Monsieur, ici, même les vichystes ne dénonçaient pas". Ce n'était pas la vertu, c'était le respect du pacte commun dont la trahison les aurait chassés du pays. Il y eût, dans un autre village, un vrai traître. A la Libération, les résistants le prirent entre quatre yeux et lui dirent: "tu vois, on pourrait te fusiller. Mais tu ne mérites pas nos balles. Ce que nous voulons seulement, c'est qu'on ne te voie plus jamais dans ce pays". Alors, cet homme qui aurait pu s'enfuir refaire sa vie en Bretagne, resta là, dans une maison aux volets perpétuellement clos. Il allait faire ses courses dans un autre village. Et il a payé sa trahison. Je me permets de renvoyer ici à des entretiens vidéo que je mène et où on entend de ces gens simples, sans rien conceptualiser savamment, rendre bien l'atmosphère d'alors. On y entendra de belles âmes. Ca ne gâche rien par les temps qui courent.

    Je ne sais trop ce qui fait que ce ciment s'est dissous et je crains que, si je voulais approfondir les causes, j'en arriverais à devenir polémique. Je m'en dispenserai donc. Mais il nous faut reconstruire une transcendance laïque. Et vraiment les manoeuvres partisanes que je vois en ce moment ne me paraissent pas de nature à y parvenir, à ceci près, cependant, que je ne vois aucun inconvénient à ce que des collaborations s'établissent entre gauche et droite. Il est, en effet, de notoriété publique que, dans des dizaines de milliers de communes de France, ça se passe déjà comme cela. Et le pays ne s'en est pas porté plus mal. Tout au contraire, ce sont ces accords de circonstance qui font tenir la bonne marche quotidienne de toute une administration.

    Ceux qui voudraient savoir à quoi ressemble ce petit pays ici le trouveront ici


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :