• Un désert de presse

    nice-matin-1.jpg forward.jpeg Les Français ont autre chose à faire mais ils ne mesurent pas bien un des changements de décor majeurs qui les attendent: leur presse est en train de disparaître, avec d'immenses conséquences dans leur vie quotidienne. Jusque là, il était de bon ton de souligner que c'était la presse nationale qui était malade. Les cas de France-Soir (disparu) et de Libération (entre les mains d'un professionnel de l'immobilier qui n'y connaît rien) en étant ceux les plus convaincants. 

    1.jpg Le problème est que le phénomène gagne la presse régionale qui fut historiquement présentée comme la plus protégée. L'Union de Reims a bien failli purement et simplement disparaître et l'actuelle solution de reprise est bien peu convaincante. Mais voici que deux grands titres solides sont au bord du gouffre. Nice Matin qui était à une époque si riche qu'il offrait, une fois l'an, un smoking à ses collaborateurs pour qu'ils puissent assister aux réceptions mondaines de la Côte d'Azur, est en pleine décapilotade. Un homme politique de la région qui ne restera pas dans l'histoire de la République, le sénateur Jean Icart, est en train d'essayer de mettre la main dessus pour des raisons qui ont peu à voir avec l'intérêt éditorial. Pour cela, il s'est acoquiné avec un fonds d'investissement suisse GXP Capital. L'affaire a paru si étrange aux commissaires aux comptes qu'ils auraient déclenché une procédure d’alerte. Elle aurait été prise en raison de l’opacité du montage financier et du manque de garanties apportées par GXP Capital. Le closing de l’opération – comme on dit, pour faire branché- initialement prévu le 26 février, a déjà été repoussé deux fois.

    Pour Jean Icart, le retard de l’opération serait dû à des questions de transfert des fonds. Une société hors Union européenne (UE) ne peut prendre plus de 20% d’un groupe de presse appartenant à un Etat membre de l’UE. GXP Capital, basé dans le canton suisse de Zoug, devrait donc réaliser l’opération par l’intermédiaire d’une entité luxembourgeoise, d’après un patron de PQR. Tout cela sent très bon, comme chacun peut en juger. Et le risque de trouver Nice-Matin en redressement judiciaire est grand.

    Le groupe Nice-Matin, qui emploie un millier de personnes, a perdu environ 6 millions d’euros en 2013 (pour 90 millions € de CA).

    midi-libre2.jpgAilleurs, la vente du groupe des Journaux du Midi, qui réunit les quotidiens « Midi Libre », « L’Indépendant » et « Centre Presse » serait imminente. L’architecte originaire de Béziers, François Fontès – qui vient d’acheter le groupe d’architecte Jean-Nouvel à Paris – serait également à la manœuvre pour la reprise des quotidiens régionaux. Comme l'on voit là encore, on retrouve un grand spécialiste de la presse... Le groupe de presse Sud-Ouest, propriétaire des Journaux du Midi, en grande difficulté financière actuellement, négocierait la vente avec l’architecte, président du groupe immobilier Hugar, auquel serait associé Loulou Nicollin, essentiellement connu pour ses compétences en football et dans le ramassage des ordures ménagères qui fit sa fortune.. Deux autres groupes de presse, La Dépêche du Midi et Centre-France qui édite La Montagne à Clermont, seraient également intéressés à l’opération

    Midi libre a  vu le nombre de ses ventes payées chuter  de près de 8,7 % en 2013, L’Indépendant de 8,5 %. Le journal de Montpellier se trouve également dans une situation financière tendue.

    Alors que le groupe Nice-Matin n'a jamais été connu pour l'élévation de pensée de ses dirigeants, la famille Lemoine, propriétaire du groupe Sud-Ouest est très honorablement connue dans la profession.Elle a employé d'excellents journalistes.

    Il ne faut pas se cacher les conséquences possibles de ces situations. L'éventualité que ces journaux disparaissent purement et simplement n'est pas écartée. Le président du groupe du Crédit Mutuel qui contrôle, entre autres choses, le Dauphiné Libéré a fini, dans des propos publics répétés par dire son agacement devant des investissements qui ne rapportaient que des ennuis, n'écartant pas d'abondonner le secteur.


     

     

    2.jpg L'éventualité que des zones entières de notre pays soient privées de moyens d'y faire connaître les initiatives locales qui s'y développent (vie associative et culturelle, etc.) est clairement devant nous. Et les sites internet sont infiniment loin d'avoir fait la démonstration qu'ils pourraient se substituer à ces moyens de communication. Internet marche à l'échelon planétaire, pas à l'échelon local. Aussi peu “politiquement correcte” que soit cette affirmation, il reste impossible de démontrer le contraire.

    Ce sont donc des milliers d'associations, de troupes de théâtre, etc. qui sont menacées par ces évolutions. J'avais, il y a quelques temps, à Crest une conversation avec une femme cultivée pour qui "bien sur", tous ces journaux recevaient de l'argent pour leur mission de service public à commencer par Le Crestois. Non seulement c'est faux, mais c'est interdit. Les deux seules dispositions favorables à la presse concernent d'une part les modalités d'amortissement de leurs investissements, en effet beaucoup plus favorables, d'autre part des tarifs postaux qui se sont, au fils des ans, considérablement renchéris, ne compensant pas ainsi la notable médiocrisation du service.

    Je conviens volontiers que la mort fait partie de la vie et que l'éventuelle disparition de journaux médiocres ne doit pas appeler de regrets exagérés. En revanche, il reste à mesurer le formidable impact social que cela aura pour toute une initiative locale. Je souhaite bien du plaisir aux élus locaux lorsqu'ils ne pourront plus rien faire connaître de leurs activités et tout autant aux clubs de boules, aux fanfares, aux amicales d'anciens combattants, aux parents d'élèves. Et qu'on ne vienne pas me parler d'une substituion par internet. On ne peut citer aucun exemple au monde où des sites se soient imposés localement (je ne parle pas de Google qui n'a aucune visée locale, ni du Wall Street Journal, etc).

    Qu'on me permette de conclure sur une anecdote que j'aie vécue. Le quotidien Sud-Ouest connut, il y a fort longtemps une longue grève. Or, il avait coutume de publier dans ses colonnes les mouvements de navires puisqu'il desservait une région de ports à commencer par Bordeaux où se trouve son siège.Les péripatétitiennes locales furent ainsi privées des informations sur l'arrivée de leur clientèle et il paraît que ce fut très embarassant... Grande cause, petit effet.

    Je crains que s'agissant de nos vies locales, on soit moins dans l'anecdotique

    Je préfère ne pas le voir. 


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