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Virez-moi ces pauvres
Nous n'avons aucun problème avec les Arabes. Pas le moindre. Ni avec les Roms, ni avec les Maliens. Nous avons un problème avec les pauvres. Ils sentent un peu mauvais (cf Chirac), leurs vêtements sont déglingues (ces terribles survets sans forme véritable, sortes de sacs pour cacher la misère). Ils parlent plus ou moins bien, faute d'avoir été longuement à l'école. D'ailleurs, franchement, est-il bien sûr que nous ayons une tendresse plus grande pour nos pauvres à nous?
BESOIN DE DÉTESTATION.- Mais le pauvre arabe (ou Rom ou Malien), l'avantage supplémentaire qu'il offre dans notre besoin de détestation, dans la nécessité d'avoir un ennemi, c'est qu'il est visible. Et puis, il y a le mystère inquiétant. Très important, ça, le mystère inquiétant, sinon comment construire une figure d'ennemi vraiment menaçante? Évidemment, le mystère inquiétant, pour l'Arabe, c'est l'islam. Personne n'y connaît rien – j'inclus là-dedans pas mal d'Arabes eux mêmes. Le Coran, texte établi autour du X° siècle de notre ère est incompréhensible aujourd'hui. On peut aligner des mots qui semblent donner un sens, mais pour ce que vaut une reconstruction onze siècle plus tard... La Bible elle -même de quinze siècles au moins aînée du Coran est extrêmement compliquée. On peut entendre des passages mais sans recontextualisation, la lecture n'a aucun sens véritable. Elle laisse à la surface. Comme pour le Coran.En vingt ans de carrière où j'ai particulièrement fréquenté ces sujets (sans parler de ma carrière antérieure), je n'ai jamais rencontré le moindre théologien, le moindre historien des religions qui ose prononcer ces qualificatifs que l'on entend constamment de la part d'ânes hautains et prétentieux comme "obscurantisme", "dangereux", etc. Lorsqu'on parle de textes vieux de 1100 ans, ces mots n'ont aucun sens et ceux qui les prononcent sont ridicules.
Mais - parce qu'étranger à notre culture- le Coran fait peur. Deux anecdotes. J'ai été sollicité, une fois, pour animer une table ronde dans une immense rencontre inter-religieuse. J'étais au milieu de la tribune devant une salle – en fait une grande tente- qui devait bien accueillir trois cents personnes. Soudain, au premier rang, une vieille dame exquise demande la parole. On aurait voulu la serrer dans ses bras, tant elle faisait penser à sa propre grand mère. Et la voilà qui ouvre la bouche et sort un torrent de haine vis-à-vis des musulmans qui, si je me souviens bien, allaient assurément violer sa petite fille qui louait un appartement en dessous d'une famille musulmane. A mesure qu'elle parlait, je sentais mon corps se glacer. Et lorsqu'elle se tût, mon coeur battait et je ne savais à qui donner la parole pour tenter une réponse. A ma droite, se trouvait le remarquable historien des religions Albert de Pury, personnage plein de culture et d'humour qui demanda à intervenir. Je le vis ouvrir un livre où je voyais des passages surlignés, preuve qu'il avait un numéro très au point. Et il lut un extrait terrifiant de haine. Puis il conclut: “Voyez vous Madame, ceci est dans la Bible”.
L'ENNEMI, CA SE CONSTRUIT.- Une autre fois, je me trouvais au Caire où j'enseignais le journalisme à des jeunes égyptiens. Je venais de sortir un livre en France. Et un des Volontaires du Service National, attaché à l'ambassade qui me facilitait la tâche dans ses aspects pratiques, vint me voir pour me dire: “Puisque tu as des introductions dans le monde de l'édition, je voudrais que tu m'aides à faire un bouquin sur la réalité de l'islam au Caire, que je connais bien. Tu sais, les imams dans les quartiers, ce sont des assistants sociaux. Alors, il y a ce que le Coran est supposé leur imposer de faire ou de prescrire. Et puis il y a la réalité. Des gars qui ferment les yeux sur des avortements, qui essaient de mettre de l'huile dans les rouages.” J'allais voir mon éditeur, une maison très connue, je lui parlais de ça. Il me répondit fermement: “Pas question. Nous nous voulons des livres qui mettent en cause l'islam dans les quartiers.” J'ai entendu parlé de ce gaillard quelques années plus tard comme animateur d'un think tank libéral. Dans quel sens du mot?
Les ennemis, ça se construit. Et si, en plus, ils peuvent être pauvres...
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