• Élections: l'avenir est au panachage généraliséEn ce lundi post-élection et face au désastre dans lequel se trouve la scène politique voilà qu'on nous parle restructuration des partis et nouveau programme. Mais on s'en fout. Et encore d'une force dont personne n'a idée. Le vrai problème auquel nous devons nous colleter est que la forme du parti, toujours valorisée par la constitution, ne correspond plus à la manière selon laquelle les gens spontanément s'associent. Cette forme là est morte. Point barre. Plongez vous dans la vie de nos villes et de nos villages. Lorsque se dégage pour telle raison la nécessité de se serrer les coudes pour parvenir à un but, il arrive que ce soit sous forme d'association, il arrive que ce soit sous forme de ce qu'on appelle maintenant des "collectifs", comme s'il fallait absolument se distancier des appellations classiques. Et puis il arrive qu'on n'appelle même pas, qu'on ne donne aucun nom, aucune structuration et que, pourtant, quelques modestes objectifs puissent être atteints.

    J'entends bien ce qu'on va m'opposer: tout cela est très sympa mais n'est pas à l'échelle des problèmes d'une nation. Eh bien sincèrement, étant données les performances du "vieux" système, de la structuration à l'ancienne, je ne suis pas sûr que les membres des partis soient en position de donner des leçons. Si je puis me permettre une formule qui aura l'avantage d'être comprise de tous et que j'emprunte à Francis Blanche: "il ne serait pas plus mal que ceux-là ferment leur claque-merde". Je note d'ailleurs que cette construction du théâtre de la politique dans un affrontement très scénarisé est en opposition totale avec les pratiques de ces structures légères que je viens de dire. Oui, bien sûr, au sein de ces associations, de ces "collectifs", il n'est pas rare que s'affrontent des visions très opposées. Mais parce qu'elles ne sont pas scénarisées, parce qu'elles ne passent pas au journal de 20 heures, elles se gèrent dans la grande majorité des cas.

    Ces dernières années, l'idée de municipalités "participatives" empruntait un peu à ces structurations très légères, en même temps que la formule faisait un peu peur, avec son côté "mode". La vérité - je l'ai montré ici- est que dans les deux tiers des communes de France, le mode de scrutin avec panachage impose une collaboration qui se fait bel et bien et je ne suis pour le moins pas informé que les deux tiers des communes de France soient en crise. Il s'en faut d'énormément. Tout au contraire, parce qu'il impose aux hommes de s'affirmer pour ce qu'ils sont vraiment et non pour leur étiquette, ce système conduit à des complémentarités entre personnages qui, sinon, se cabreraient dans des postures. La posture c'est la mort. Et c'est elle qui envahit notre jeu politique.

    Une démagogie partisane a imposé dans les grandes communes des listes par parti ce qui a généré une multitude d'effets pervers. Le premier était que toute collaboration avec celui qui devenait "l'adversaire" était nécessairement une trahison. Le deuxième était, précisément, de développer les postures en espérant que la presse en rendrait bien compte. C'est qu'on était désormais dans un théâtre et il fallait bien jouer la scène. Une partie de la dérision qui affecte le monde politique tient à cela. Le public est largement assez intelligent pour comprendre que tout cela n'est que du vent. Enfin, tout ce qui précède a amené une professionnalisation de la politique et tout un  entourage professionnel des politiques qui a impérativement besoin de justifier ses revenus. Tout ça est du bluff et du vent. Car, ultime effet pervers, ce système amène les membres des entourages a eux-mêmes postuler un jour pour des élections. Ce qui fait que la composition de la classe politique devient complètement hors sol

    Il y a une solution simple: imposer la collaboration partout par le biais d'un système de scrutin avec panachage généralisé non seulement pour les municipales mais pour les législatives, sans parler des régionales, évidemment. On admettra, par exemple,  que le département de la Drôme a droit à quatre députés mais que jusqu'à 60 jours avant les élections toute personne intéressée fera parvenir son nom en préfecture.  Bien sûr, il y aura une avalanche de fantaisistes. Et alors? Où est l'argument? Actuellement, déjà, il y a des candidatures fantaisistes. Dans ce système où une seule liste sera imprimée par la préfecture, sautera aux yeux que tous se valent.  Naturellement, il reviendra, comme actuellement, à chacun de se faire valoir, mais symboliquement le système sera plus ouvert. Par ailleurs, les élus seront dès lors contraints à une collaboration pour la meilleure représentation des intérêts du département, considéré comme un tout.

    L'argument généralement avancé par les professionnels de la politique est que cela rend les assemblées ingouvernables. On voit bien qu'en effet, si on est dans une pièce de théâtre où chacun veut avoir le beau rôle, ce risque existe. Et le régime gaulliste avait mis un terme à cela. Il faut constater qu'à présent les inconvénients sont devenus plus forts que les avantages. Il faut, en effet, que des dispositions contraignent à la collaboration.

    Le système actuel des circonscriptions (auquel je suis pourtant très attaché) a un effet pervers qui est en train de l'emporter sur ses nombreux avantages: il tend à une féodalisation du territoire. C'est-à- dire que le titulaire a besoin d'asseoir son emprise, de "verrouiller". Si collaboration il y a avec un autre parlementaire voisin, il faut absolument qu'elle soit cachée pour que chacun puisse bien tirer les bénéfices de notoriété.

    Évidemment, le système ici proposé aura l'immense inconvénient de réduire le rôle des partis. Ah oui, c'est très embêtant...


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  • Régionales: Nous avons mal mesuré l'ampleur des frustrationsLa montée irrésistible, depuis plusieurs scrutins, du Front National n'est pas que de la faute des autres qui seraient crétins, incultes et bas de plafond. C'est un peu commode de raisonner ainsi et je n'aime pas beaucoup les propos suintant le mépris et la moquerie à propos des électeurs du FN. Si on veut se tirer une balle dans le pied, on ne fera pas autrement. Notre société secrète depuis des années un sentiment de décrochement, ce que d'autres ont assez bien qualifié d'"insécurité culturelle". La formule est bonne: elle correspond à une réalité, l'idée qu'on fera moins bien qu'avant, qu'on n'est même pas sûr de "porter ses enfants au bout".

    Cette réalité a beaucoup à voir avec le discours public, avec ces femmes et ces hommes trop propres sur eux, trop souriants, trop habiles à s'exprimer qui accèdent aux plateaux de télévision mais que leur perfection même éloigne de la grande masse du public. C'est un peu comme si, le journal de vingt heures succédant dans le programme de la chaîne à un feuilleton plein de stars bien pomponnées, ils en étaient eux aussi une partie du spectacle, des acteurs comme les autres. Bref, "pas comme moi".

    Oui mais voilà: la grande masse des gens ordinaires, ni maquillée, ni très adroite de ses mots n'accède pas aux plateaux de télévision. Et chaque fois qu'elle voit les veinards qui viennent y prononcer des discours trop prévisibles, elle sent son agacement monter d'un cran. On ne dira jamais assez ce que l'insincérité du vocabulaire de ce monde est dévastatrice. Ces mots dont chacun désormais comprend le sous-entendu sinistre: adaptation qui veut dire licenciements, etc. C'est comme un vieux feuilleton dont on connait à l'avance l'issue de l'épisode. Il y a bien quelques surprises de scénario, mais l'idée générale on la connaît: à la fin le beau gosse en Triumph TR5 embrasse la nana siliconée, économe de ses vêtements.

    J'ai passé la soirée électorale à l'écoute de France Inter. Pas un intervenant qui ait pleuré, gueulé, éructé. Rien que du lisse, du contrôlé. Rien que des mots que nous n'utiliserions jamais. Personne qui ait dit: "Nous sommes dans la merde" ou "quel coup de pied au cul". Non, rien. Du clean, de l'artificiel. Du "pas-comme-l'électeur".

    Le comble est que le monde politique paie fort cher des conseillers pour être absolument standardisé, savoir parfaitement réagir à la question du journaliste, sourire comme il convient, donner son bon profil. Et à chaque intervention nouvelle de ses conseillers, l'homme politique perd des voix supplémentaires tout simplement parce que personne n'y croit. Il suffit de voir combien demeurent populaires ceux qui se taisent. Alain Juppé, par exemple, s'est contenté, au soir du désastre des régionales de dire: "Il va falloir qu'on en parle au bureau politique". Tu parles d'une déclaration! Personne ne la reprise et Juppé a eu bien raison.(Voir ici)

    Jadis, la radio étant balbutiante et la télévision inexistante, les hommes politiques devaient faire campagne sous les préaux des écoles. Et ils finissaient  par connaître ces femmes et ces hommes qui avaient des vêtements un peu vieillis, qui ne sentaient pas toujours la rose mais qui étaient des hommes et des femmes vrais. Aujourd'hui ils ont d'élégants jeunes gens sortis de Science-Po qui leurs fournissent des études sur les CSP (catégories socio-professionnelles). C'est chouette, ça, les CSP. Mais au bout de trente ans de CSP, de beaux graphiques et de sondages, on se retrouve le dimanche 6 décembre. La queue entre les jambes.

     

    Voir ici aussi: Pourquoi voter à droite quand on a l'extrême droite


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  • La grande carambouille pétrolière autour de DaeshPar le jeu de son mariage avec une Allaouite proche de la famille Assad, il semble bien que l'homme d'affaires syrien George Haswani (photo) joue un rôle déterminant dans les relations entre l'État Islamique, le régime syrien... et les Russes. En effet, cet homme qui possède une puissante compagnie, HESCO, opérant en Algérie et au Soudan également,  se trouve tout à la fois en relations avec des personnalités de haut rang des services de sécurité russes, avec des compagnies pétrolières russes et avec des membres du régime syrien.

    Il a débuté comme adjoint au directeur d'une raffinerie syrienne qu'il a même un temps remplacé. Puis il est parti en Russie y étudier et s'y est fait de nombreuses relations (dont une première épouse). Le fait que des raffineries sous son contrôle, dans des territoires passés entre les mains de l'Etat Islamique, continuent de fonctionner a suscité plus que des curiosités. Le problème est que ceci souligne un formidable double jeu joué dans la région. Il apparaît bien, en effet, que le régime syrien se trouve ainsi parmi les financiers de son ennemi Daesh puisqu'il en achète le pétrole.

    Le problème, dans cet imbroglio, est que le régime de Damas accuse, à son tour, le régime turc de pratiquer de la contrebande de pétrole ce qui présente un certain degré de vraisemblance. Cette accusation vient d'être abondamment relayé par les Russes. On a pu lire,  ici ou là, que le propre fils d'Erdogan serait impliqué. En tous cas, pour des raisons géographiques évidentes, il est impossible que le pétrole trafiqué n'implique pas des acteurs turcs. Jusqu'à quel niveau? C'est toute la question. La Russie vient de faire savoir qu'elle allait donner des détails sur ce point, dans le moment de tension que nous vivons entre Russes et Turcs. 

    Toute la question est de savoir le nombre de pays qui sont impliqués dans ce trafic. Car, s'agissant en tous cas de George Haswani, il apparait que sa compagnie est très ouvertement liée à des compagnies russes. Ce trafic est clairement déterminant dans la poursuite du conflit. En novembre, les Nations Unies estimaient les revenus pétroliers de Daesh entre 846,000 et $1.6 million de dollars par jour. L'Union Européenne et les États-Unis ont pris des sanctions contre Haswani, mais le niveau d'intrication de ses réseaux reste obscur. En tous cas, on comprend mieux, dans ce contexte, la touchante sollicitude des Russes pour le régime d'Assad. Et ceux qui  voient en la Syrie un rempart contre Daesh feraient bien d'y réfléchir à deux fois.


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  • En France, c'est du côté de la Manif pour Tous qu'il faut regarder et de Marion Maréchal-Le Pen. En Pologne, c'est du côté du nouveau gouvernement qui a procédé à la prestation de serment à genoux. Un mouvement qui peut avoir des aspects violents est en train de s'emparer du catholicisme pour en faire un mouvement revanchard, sans aucun rapport avec ses fondements doctrinaux véritables. Car ceux dont nous parlons ont de violentes quintes de toux lorsqu'on leur parle du pape François, sans rien dire, bien sûr, de tout ce qui peut être attention à l'Autre dans la doctrine de l'Église. En revanche, un petit fumet d'antisémitisme, là...

    Lorsque les catholiques sont instrumentalisés par les partis de la haineIl faut voir d'où cela vient car tout le monde en prend pour son grade. Au milieu des années cinquante, Jean Ousset (photo) crée la Cité Catholique qui a en détestation toute forme de modernisme et particulièrement de libéralisme. Au passage, ceci rend comique le fait que des ultra-libéraux contemporains, façon Mariton, flirtent avec le mouvement. Celui-ci va trouver un réel succès dans la proximité des officiers humiliés par les échecs successifs en Indochine puis en Algérie. Il n'est pas sûr que, sur le coup, on ait bien mesuré les aigreurs qui naissaient alors.

    Pour tout ce monde, la France véritable ne peut être que catholique et assurément pas républicaine. Cela va être répandu dans d'innombrables séminaires et colloques, soutenus par des religieux, disciples, notamment d'un prêtre d'origine espagnole, François de Paule Vallet. Il est né en Espagne, a longuement séjourné en Amérique Latine, puis s'est installé à Chabeuil (Drôme) où, sur le modèle de Saint Ignace de Loyola, il institue des "Exercices spirituels" et crée les coopérateurs paroissiaux du Christ Roi. Dans une atmosphère d'exaltation ultra-réactionnaire, le mouvement s'étend, déborde ultérieurement en Suisse, où j'ai eu à rencontrer  des témoins qui me parlaient des déséquilibres psychiques - façon secte- de certains des partisans du mouvement.

    Des décennies durant, dans un sentiment d'hostilité alentour de la part d'un monde qui affichait une détestation un peu moqueuse du catholicisme, des milieux étroits vont survivre. On paie là, à prix élevé, un anti-catholicisme par dérision qui a fini par blesser beaucoup. Ici ou là, ils trouvaient des relais. Quelques milieux d'extrême droite, comme Patrick Buisson, un temps conseiller de Sarkozy,  leur offraient de timides relais. Aujourd'hui c'est tout autre chose: la manif pour tous, via Civitas, est l'émanation de ces groupuscules. Et on a changé d'échelle. Un certains nombre de leurs membres ont pu s'infiltrer dans les candidats Les Républicains aux élections régionales. Des parlementaires, pourtant non catholiques comme Hervé Mariton , ont servi de relais. C'est la revanche des bien-pensants. 

    A présent, Marion Maréchal Le Pen devient un relais qui a accès au journal de 20 heures. Et, pour le cas où l'on croirait que tout cela n'est que de la petite bière, je suggère fortement d'aller voir (ici) ce qui advient en Pologne lorsqu'un catholicisme hystérique revient au pouvoir. Je redis fortement ici que ceci n'a aucun rapport avec l'immense masse des catholiques, a fortiori pas avec la papauté actuelle. Le problème est qu'il suffit que l'on revendique avec force décibels pour qu'on soit cru.

    Les prochaines élections régionales, par exemple à travers un Laurent Wauquiez peu éloigné de ces milieux, vont leur donner des moyens de faire un entrisme encore plus fort.  Tout ceci démontre qu'il faut prendre l'histoire au sérieux et cesser de croire que le monde est né il y a quarante-huit heures. Par ailleurs,  on serait tout-à-fait intéressé de connaître la vraie nature des liens internationaux de ces mouvements. Par exemple, Civitas qui se revendique explicitement de la filiation de Jean Ousset est mené par un militant d'extrême-droite belge, Alain Escada. On aimerait bien connaître les autres connexions. Avec la Pologne?


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