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D'anciens portraits locaux en archives
Faire vivre un journal est une bataille. Depuis cinquante ans, au moins, un petit journal local la mène. Avec des moyens dérisoires. Mais il la mène parce qu'il se bat pour son territoire. N'importe qui de bon sens comprend, en effet, que ce ne peut être l'argent qui le mène. Vous voulez perdre de l'argent? Achetez un journal! Mais vous aimez votre pays? Il vous faut un journal aussi pour en défendre le territoire. Le Crestois fait en réalité cela depuis sa naissance en 1900. Et les cinquante ans cités plus haut correspondent à autant d'années de militantisme pour un territoire. Ce militantisme doit être soutenu. C'est en achetant un journal, en s'y abonnant qu'on le soutient.
Et les quelques articles que l'on peut trouver ici sont une sorte de "best of". Une manière de montrer qu'aussi modeste soit-on, on peut faire du bon travail. Nous sommes modestes, nous ne sommes pas dérisoires. Il n'y a aucune honte à être modeste. Et nous sommes fiers du travail faits.
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Par gervanne le 18 Novembre 2014 à 08:51
C'était le bon temps. Celui des haines recuites où entre gauche et droite on se traitait de « chiens courants du capitalisme » ou, à l'inverse, de « partageux » et de « moscoutaires ». Waldeck Rochet, secrétaire général du Parti Communiste de 64 à 72, dont il va être ici question a vécu cette période . Nous avons la chance, grâce à son fils Guy, ancien communiste lui-même, désormais installé à Saou, de connaître l'envers d'un personnage qui fut haï et adulé, qui tenta d'infléchir un parti qui avait grandi dans le culte de Staline.
Guy Rochet accueille dans une maison inondée de lumière qui a sans doute une des plus belles vues sur Saou avec son promontoire qui se dresse au dessus de la commune et que l'on voit là, à travers une porte fenêtre.
De son père, il a une première image, celle de la Citroën traction qui, à la fin de la guerre, s'avance dans la cour de la ferme où il a vécu , des années durant caché, nourri par une mère, la délicieuse Eugénie. Elle courait les fermes en vélo pour nourrir ses trois enfants, deux fils et une fille. Car Waldeck Rochet, né en 1905 en Saône et Loire, fils d'un sabotier hyperlaïc, qui lui avait donné ce prénom étrange par référence à Waldeck Rousseau (1846-1904), l'homme de la fameuse loi de 1901 sur les associations et sur la liberté accordée aux syndicats, fut prisonnier pendant la guerre en Algérie pour avoir été député communiste. Il rejoint de Gaulle à Londres pour représenter auprès de lui les communistes. Et le petit Guy, avec son frère aînée et sa soeur cadette, vont pousser grâce aux mérites de leur mère qui les protège, loin d'un père qui, ce jour là, sortant de sa traction, leur paraît étonnamment grand. Ils en ont rêvé depuis tant d'années. « Ma soeur, dit Guy Rochet , embrassait sa photo tous les soirs ».
STALINISME.-A partir de là, ils vont rejoindre Paris, logés comme on peut alors, chez quelques amis, dans un milieu où l'argent ne coule pas à flot. « Nos parents, dit Guy Rochet, étaient des gens intègres. Au parti, on était très à cheval sur les convenances. On m'avait mis en garde sur le fait de ne pas me faire prendre dans un mauvais coup. On ne divorçait pas. ». Les jeunes Rochet voient leur père- d'abord député de Saône et Loire et Loire, puis de la Seine, puis de la Seine Saint Denis- rentrer à la maison, manger en prenant des notes, son épouse poussant ses papiers pour faire place aux assiettes. Eugénie vivait dans l'ombre de son grand homme, mais, dit Guy Rocher: « Elle donnait son avis, faut voir comment ». Et il a des mains un geste qui fait claquer les doigts et qui fait comprendre que la femme supposée effacée ne l'était pas tant que l'on aurait pu croire.
Nous sommes dans les années du stalinisme le plus noir. Waldeck Rochet monte dans l'appareil du parti. Charles Fitermann, son secrétaire, dira à Guy: « ton père est arrivé au pouvoir malgré lui ». C'est qu'il y a, quelque part, dans ce paysan qui a créé les organisations agricoles du parti communiste, une réticence vis-à-vis du culte de la personnalité. « Nous sommes allés en URSS avec nos parents, lorsque j'étais enfant, témoigne Guy Rochet. Mais nous étions constamment encadrés. Nous n'avons pas vu la réalité du pays. Mon père n'a pas voulu que nous soyons embrigadés dans les organisations de jeunesse qui dépendaient du système. »
ENGONCÉ.-Et de fait, Waldeck Rochet appartient à la génération qui prend coup sur coup sur la tête le rapport Krouchtchev et l'intervention soviétique en 1956. Aujourd'hui, Guy Rochet admet bien volontiers que l'appareil du parti n'est, alors, pas en mesure d'absorber ses révélations. Surtout, on sent chez lui, une souffrance toujours vive lorsqu'on lui parle de l'intervention des chars soviétiques à Prague en 1968. « Mon père (alors secrétaire général du parti) avait été désigné comme médiateur. Il avait obtenu des Soviétiques la garantie qu'ils n'interviendraient pas. Deux jours plus tard, ils l'ont fait. »
En vérité, toute la vie de Waldeck Rochet, mais aussi des siens, car Guy sera aussi militant, est celle de l'espoir déçu de faire bouger un parti tout engoncé dans son stalinisme. ». On peut retrouver dans Le Monde de 1985 l'écho d'une protestation de Guy, communiste rénovateur, qui signe une protestation. « Je me suis fait convoquer par le (très stalinien) Gaston Plissonnier. Nous étions les enfants de nos parents, nous ne pouvons pas faire ce que nous voulions. »
Waldeck Rochet, est aussi celui qui noue des relations discrètes avec François Mitterrand, relations qui mèneront au fameux programme commun de la gauche. Il interviendra après la mort, au terme d'une maladie dégénérative, en 1983, de Waldeck Rochet.
DOUTE.- Guy Rochet nous tend une information qui circule sur internet et selon laquelle Aragon aurait affirmé qu'il avait dit à Waldeck Rochet de ne pas aller en URSS car il y serait empoisonné. Il se souvient: « A sa mort, nous avons du faire une déclaration pour dire qu'il avait été bien traité. ». Il n'en dit pas plus, mais on sent bien que le doute est quelque part.
Cet homme qui vit passer chez son père Aragon, déjà cité, mais aussi Maurice Thorez, Roland Leroy, Georges Marchais (qu'il a détesté) a mené sa vie comme technicien de télévision tout en conservant un engagement au PCF souligne que son père ne l'y a jamais poussé. « Ni à mon frère, ni à ma soeur, ni à ma moi, notre père n'a imposé notre engagement. Mais c'est vrai que c' était un monde incroyablement chaleureux et que nous nous y sentions bien. » Une seule fois, Guy Rochet se souvient d'avoir entendu un professeur l'appeler « fosse commune ». Ambiance...
Guy Rochet, passionné de bicyclette, fondateur d'un club de vélo, de plus en plus critique vis-à-vis d'une direction du parti dont il n'approuvait plus les orientations, va au demeurant, conserver dans son engagement sportif la vocation sociale de la famille. A vélo, il a essayé d'intégrer des jeunes beurs à la dérive, avant de voir monter dans Sartrouville où il vivait avant de s'installer à Saou auprès de sa fille, des imams. Ils prendront en main cette jeunesse jadis encadrée par le parti. Entre le père et le fils, ce sont, en somme deux itinéraires qui, sous cet aspect très particulier, se sont prolongés. Guy Rochet a vu l'effondrement de ce que les amis de son père avaient construit. Et la nostalgie est perceptible chez lui de ce temps fait d'amitié fortes, de solidarités naturelles, dissoutes par l'aveuglement du parti que finalement ses propres militants ont fini par comprendre.CET ARTICLE PROVIENT DES ARCHIVES DU CRESTOIS.
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Par gervanne le 17 Novembre 2014 à 08:46
Des dizaines de lettres du XIX° siècle nous racontent la vie d'une famille de la bourgeoisie campagnarde de notre région
L'histoire que voici se déroule autour de 1870. Nous la devons à des dizaines de lettres dans l'ancien domicile d'un vieux patriarche où elles ont été conservées, à Beaufort sur Gervanne. Nous avons pu y accéder. Cette correspondance écrite d'une écriture cursive, sur des papiers qui ont fort bien résisté au temps, réunit une poignée de personnes. L'immense intérêt de cet ensemble est qu'il nous raconte la vie dans notre région, au jour le jour, principalement autour de Bourdeaux mais aussi Saou, plus rarement, à Crest, à Beaufort sur Gervanne, parfois à Montmeyran ou au Paris de la guerre de 1870 et au Marseille de la Commune. S'ajoute à cela l'écriture très particulière de l'époque et c'est plus là, du reste, l'intérêt de ces lettres. En voici quelques extraits. Nous avons parfois corrigé certaines fautes trop manifestes, mais nous les indiquons par une parentèse.
Le patriarche se prénomme Jules. Nous laisserons son patronyme dans l'ombre ainsi que la plupart des autres. Jules est un bourgeois campagnard, à l'aise, mais pas franchement riche. Il possède des terres qui sont exploitées par des fermiers. Ses archives portent des traces de quelques uns de ses placements dans « L'embarcadère de Cadix » ou « Les chemins de fer du Portugal » ou encore une « obligation du midi » à 296 francs (de Napoléon III).
LA DESIREE, LA MARQUISE, LE DOMINIQUE.- Jules est marié à une femme qui nous est décrite comme souvent souffrante. C'est du reste le cas de beaucoup des correspondants qui se plaignent volontiers de leur santé. Ainsi cette lettre du 4 août 1869 de la belle fille de Jules qui se rend fréquemment à Vals les Bains pour y « prendre les eaux » comme on disait alors. Voici par exemple : « Mon estomac supporte très difficilement les eaux et qu'on ne peut me les donner qu'en très petite quantité. J'ai commencé par la Précieuse (de toute évidence une catégorie d'eau), puis, au bout de trois verres par jour j'ai eu de telles crampes qu'il a fallu cesser vingt quatre heures, puis essayer la Désirée. Enfin, ce matin, après m'avoir examinée, le Docteur m'a ordonné la Marquise, la plus lourde des eaux de Vals (…) En suite on m'ajoutera la Dominique pour me reconstituer un peu »
Nous n'en savons guère plus sur l'épouse de Jules. Dans la mesure où les lettres sont adressées au patriarche, elles sont riches en renseignements sur leurs auteurs, mais presque muettes sur leur destinataire. Nous avons seulement pu trouver un récit que Jules fait de l'Exposition Universelle de 1867, à Paris, à laquelle Jules se rend tous les jours. Il écrit: « Je ne crois pas que jamais personne, eût elle cent ans et voyagé toute sa vie, ait vu autant que ce que l'on peut voir en un jour, à l'aspect de toutes ces machines fonctionnant ensemble, l'on se retrouve totalement aplati, qu'il vous est impossible de vous remettre. Plus vous regardez moins vous y voyez. »
FROTTER LES CÔTELETTES.- Beaucoup de lettres font état de petits échanges de services. Et surtout de demande de nourriture de la part de citadins qui semblent peiner à s'approvisionner. Ainsi d'une Hortense: « Vous aurez la bonté de (ne) nous envoyer par la grande vitesse (il s'agit manifestement de l'acheminement des paquets) que les boudins, les petites saucisses, les caillettes, les côtelettes, les gratelons. Vous garderez la graisse pour la mettre avec les grosses saucisses et le lard et les jambons que vous nous enverrez par petite vitesse quand les saucisses seront séchées et le lard salé. Il est donc bien entendu que vous n'envoyez par grande vitesse que les choses susceptibles de se gâter tout de suite. Vous aurez la bonté de frotter les côtelettes avec un peu de sel fin, cela les conservera pour la route, le temps étant très doux. (Il n'existe alors aucun autre procédé de conservation des aliments que de saler) . Vous ferez peu de caillettes par conséquent vous n'y mettrez pas beaucoup d'herbes (…) Vous savez que nous ne voulons que le quart du lard, vous serez assez bon pour nous vendre l'autre moitié, nous en aurions trop du tout. (…) Le gruau que vous nous avez envoyé est tellement beau et bon que j'en mange bien souvent. (...) »
Le 28 janvier 1869, Hortense accuse réception à propos d'un envoi qui n'est pas nécessairement celui qui précède. « J'ai reçu la caisse et je vous en remercie, tout est arrivé en bon état. Les caillettes sont bien un peu gelées, mais rien n'a souffert au point d'en être gâté. Vous voudrez bien prendre pour le paiement du cochon ce que vous toucherez de la table, cela ira tout seul ainsi. Puisque notre moitié est si petite cette année, nous prendrons tout le lard, ainsi vous n'avez pas à en garder ni à en vendre, vous nous l'enverrez tout. »
RUINE TOTALE.- Une bonne partie de la correspondance provient, d'Emilie, fille du patriarche, domiciliée alternativement à Bourdeaux et au hameau de Lestang et où son beau-père détient une propriété. Hélas, le beau père gère très mal ses affaires comme le montre cette lettre d'Emilie antérieure à 1869: « Voici enfin des nouvelles décisives; le cousin Faure est venu. Il a reçu toutes nos confidences, il a été étonné, saisi en présence d'une pareille dette et après avoir tout visité il nous a dit que d'abord Lestang était mal cultivé, que pareille exploitation ne pouvait mener qu'à une ruine totale. Qu'il fallait que à tout prix Achille (mari d'Emilie) prit la direction du domaine, qu'il fût le maître de faire faire ceci ou cela, qu'en un mot il ne fallait plus balancer, que le cas était urgent, s'ouvrir à son père, lui dire je veux et s'il ne voulait pas tenir ses conventions le quitter sans hésitation et l'abandonner à lui- même. Comme je l'avais prévu mon beau-père s'est emporté, il a dit non sans nous écouter et après m'avoir injuriée, particulièrement m'avoir dit que j'étais une paresseuse, une bonne à rien, ce dont je me moque pas mal, nous avons dit adieu à Lestang (…)
Le beau-père meurt quelques temps plus tard, laissant le couple sous une avalanche de dettes. Le 15 avril 1869, Emilie écrit à son père: Tout serait pour le mieux si des préoccupations sérieuses dépendantes de notre malheureuse position n'étaient pas là n'étaient pas là pour nous harceler sans cesse. Tu ne peux pas t'imaginer ces rongements (sic) d'esprit (tu n'y as jamais passé) , à tout instant cette pensée qui vous ronge la nuit, surtout quand une fois réveillé on pense comment faire? C'est surtout quand je vois mon mari si ennuyé que mon coeur se serre. (…) Suit une longue description de la gravité de la situation.
UN VER RONGEUR SE MÊLE A MES PENSEES.- D'innombrables autres lettres du même ordre, toutes, disent la débâcle financière de la famille jusqu'à ce que le gendre ne prenne la plume, le 28 août 1870. Comme on va le voir, il y met les formes. « C'est avec la plus profonde peine et en faisant le plus puissant effort sur moi-même que je vous écris quoi qu'il s'agisse de ma tranquillité et de celle d'Eugénie qui, comme moi souffre beaucoup de la position dans laquelle nous nous trouvons; mais que faire dans les tristes temps que nous traversons, si ce n'est recourir à ses parents, aujourd'hui que toutes les bourses des amis; bourses qui ne s'ouvrent le plus souvent qu'en vous faisant payer fort cher une bonté ou une complaisance; c'est leur métier et ils en usent.
Si vous saviez combien il m'est pénible de demander des services vous me trouveriez bien malheureux et me plaindriez; cela adoucirait le tourment presque continuel qui vient comme un ver rongeur se mêler à mes pensées. J'entends toujours ceci de la conscience: faire honneur à ses affaires et à ses engagements (…) Je désirerais ardemment me débarrasser de toutes les dettes que m'a léguées mon père et n'avoir à faire qu'à une personne. Je viens donc vous prier instamment de me prêter ou de me faire trouver une somme de 9000 francs qui avec les 1000 francs que vous avez eu la bonté de me prêter ferait 10 000 francs pour laquelle je consentirais une obligation (…) je vous consentirai un acompte sur tout ce qui peut m'être redu sur mes recouvrements (…) ». Et il s'engage à vendre sa propriété au bout de deux ans et de rembourser. Jules contribuera plus qu'à son tour aux finances du malheureux ménage.
Terminons par ces quelques lignes charmantes du 15 février 1870 d'une correspondante: « Vous n'ignorez pas que M. X est venu me demander en mariage, il a l'air aimable et surtout d'avoir bon caractère, d'ailleurs je n'ai pas besoin de vous le dire, vous le connaissez mieux que moi. Quant à sa fortune je l'ignore, vous êtes le seul qui puissiez me le dire, ma mère vous prie de lui écrire le plus tôt possible. Je ne vous en dit pas davantage pour le moment. »
Et nous non plus...
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Par gervanne le 14 Novembre 2014 à 22:37
« Aucun cimetière ne ressemble à un autre », dit Philippe Landru. « Prenez ceux de la Drôme. Bien sûr, il y a entre ceux de Romans, de Crest ou de Dieulefit, une influence commune du protestantisme. Mais on voit bien que les itinéraires des défunts n'ont pas été les mêmes. Par exemple, à Dieulefit, vous trouvez des grandes dynasties protestantes qui se sont développées dans la poterie. A Crest, vous en avez qui ont été dans l'armée ce que vous ne trouveriez pas à Dieulefit. Et évidemment à Romans, vous avez des traces de l'industrie de la chaussure.»
Philippe Landru, professeur d'histoire- géographie dans un lycée parisien, âgé de 39 ans sait de quoi il parle. Depuis 25 ans (!), il visite les cimetières. Il en a ainsi vu 1500 environ et pas seulement en France. « Je suis, dit-il joliment, un stakhanoviste des cimetières ». Il entretient, depuis 2005, un site internet qui fait désormais référence et qui a consacré, parmi bien d'autres, au cimetière de Crest un article avec photos.
« Un cimetière dit-il raconte la vie du lieu. Vous voyez quel est le type de notabilités même dans des plaques récentes. Vous y devinez les moeurs locales. Par exemple, lorsqu'on rend hommage à un chasseur, vous savez que ça fait partie de la culture de la région. Il m'arrive souvent de rencontrer par la suite des historiens locaux qui me disent « vous connaissez bien notre petit pays ». C'est totalement faux. C'est seulement le cimetière qui me l'a raconté. »
MORT POUR RIEN .- Pour entreprendre ses expéditions, Philippe Landru se renseigne parfois avant, via internet, pour repérer quelques personnalités dont il pourrait trouver les tombes. Mais sur place, bien vite, c'est toute autre chose qu'il trouve et qui apporte un éclairage singulier, qui raconte un bout d'histoire. A Crest, par exemple, se trouve la tombe de Georges Bardenanche, avec cette mention terrible « Mort pour rien ». Nous avons cherché à comprendre et -miracle d'internet- nous y sommes parvenus. Ce jeune homme de 19 ans, dont curieusement le nom n'est guère de la région mais plutôt de celle de Varces dans l'Isère, est tombé dans les toutes premières heures de la guerre de 14 dans les Vosges, parmi les troupes du régiment grenoblois dont il faisait partie. Et, en effet, le mouvement de troupes dans lequel il s'est trouvé pris, était un de ses allers et retours comme il s'en passa par milliers dans les Vosges dont aucun n'était décisif. Ce qui fit de la guerre de 14 l'immense boucherie que l'on sait.De surcroît, Georges Bardenanche est mort le 3 septembre 1914, un mois après le début des hostilités et l'on doit convenir que les engagements dans lesquels il se trouva ne comptèrent en effet « pour rien ». Mais bien sûr l'intérêt de la plaque de ce malheureux jeune homme est dans la colère que l'on devine de ses proches. « Il y a toujours eu des non conformistes, dit Philippe Landru, se référant aux inscriptions orginales qu'il relève parfois « et peut être moins aujourd'hui comme on pourrait le croire, mais plutôt dans les années trente. »
Depuis 2005, Philippe Landru qui, jusque là tenait des fiches sur papier avec photos sur support argentique a du tout recommencer pour s'adapter aux exigences d'internet. Son site offre un fonds d'information important. Et il estime qu'il pourrait s'arrêter de visiter des cimetières pendant trois ans pour simplement mettre en ligne la colossale documentation qu'il a accumulée. Mais, ce n'est pas ce qu'il fait. « Depuis que mon site est en ligne, dit-il, il y a eu une espèce d'emballement. » Une petite notoriété, s'est faite jour. La drôle d'internationale des passionnés de cimetières – car elle existe- a fait caisse de résonance et, en quelque sorte, Philippe Landru a deux vies: l'une de prof, l'autre d'expert en cimetière avec, de surcroît, un développement vers la généalogie. Mais, lorsqu'on voit ainsi passer des milliers de noms sur des plaques de marbre, est-il possible d'échapper à l'envie de les retrouver dans des archives papier? Ce travail mérite le détour: http://www.landrucimetieres.fr/spip/
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Par gervanne le 2 Octobre 2014 à 08:53
Cet article a été publié par Le Crestois en 2010
Il y a la poignée de main qui vous dit: Celui là, c’est du solide; le grand rire, le tutoiement immédiat, le regard clair aussi. Et la force des convictions que l’on devine immédiatement dans le propos. La manière de dire, enfin, pleine de jolies formules. Max Béranger est un de ces personnages magnifiques qui auraient fait le bonheur d’un écrivain. Et l’on enrage de n’en point avoir la plume pour lui rendre le juste hommage qu’il mérite.
Résumons, si c’est possible. Instituteur des décennies durant dans toute la région, maire deux mandats de suite à Gigors, agriculteur, un quart de siècle, président de la maison des jeunes de Crest, syndicaliste et la liste n’est pas complète, il s’en faut de beaucoup.
Il est né à Gigors, il y a soixante dix ans, d’une famille qui est aussi vieille que les pierres du village. « Au temps des Gaulois, s’amuse-t-il, mes chromosomes étaient déjà là ». Son grand père était Fernand Bérard, une de ces figures que les vieux connaissaient bien, déjà maire du village en son temps. Et il se peut bien que le petit-fils ait un peu été élu, en 1971, en souvenir du grand père. Et, en fouillant dans les vieux papiers Max Béranger a retrouvé trace des siens jusqu’en 1636. Un bail.
L’histoire des siens est d’abord celle des ouvriers de filatures dans la région. Et celle de la débandade de ces entreprises qui va conduire le père de Max des Moulinages Rey à Crest vers l’ Ardèche, où il retrouve du travail à Viviers sur Rhône.
Et puis en 1958, le grand père agriculteur étant tombé malade, c’est le retour dans cette grande ferme, aux Trois Prés, entre Beaufort et Gigors en lisière de forêt où sa famille reprend une activité agricole. Solide bâtiment qui date de 1733 et qu’un ancêtre a racheté comme bien national en 1811.
LA FERME INCENDIÉE.-Max Béranger y a vécu là de rudes moments. Parce que c’est aussi là qu’enfant il passe la guerre. Son père est prisonnier. Son grand père aide notoirement les résistants. C’est dans la ferme que se cachent des jeunes fuyant le STO, c’est là que sont dissimulés des postes de radio. Au point que le 30 juillet 1944, les Allemands remontent tout exprès pour incendier le bâtiment. A l’instant, de le raconter, son regard se voile. La famille devra vivre trois semaines dissimulée dans les bois. Sur ces heures là, il en sait long. Il tend sa main vers le journaliste: « Ca, tu l’écris pas... » Un silence et puis « Mon grand père disait: « On ne peut pas faire la guerre toute sa vie » ».
C’est donc un jeune homme marqué par ces rudes événements qui passe ses baccalauréats au lycée de Crest, part en Algérie, puis revient et devient instituteur. Il épouse Gilberte, en 1964, dont il aura trois filles Valérie, Sandrine et Karine dont on sent bien, à son ton, combien il est fier.
Max Béranger a exercé à Crest, à Nyons, à Saint Didier de Charpeys, à Livron. « Dans mes classes j’ai eu jusqu’à 40% d’étrangers, dans ces temps là. Des enfants de gars qu’on allait chercher dans le fond de leur bled en Algérie. Ce qu’il leur fallait c’était un service social. Il fallait les accueillir, ces malheureux! C’est pour ça que je me suis occupé de la Maison des Jeunes. Je l’ai vue sortir de terre. » Et c’est aussi pour ça, qu’il devient syndicaliste, au Syndicat National des Instituteurs, le SNI, proche du Parti Communiste. « Je n’ai jamais été membre du Parti Communiste, mais les idées, ça bien sûr... Mon grand-père, déjà. Tu comprends, j’ai été formé. C’est une philosophie. Je prends les idées qui me plaisent.». Et il part d’un grand éclat de rire. Le grand-père justement, « je l’ai suivi plus d’une fois dans les couloirs de la Préfecture, lorsqu’il était maire. »
Alors, le virus ayant ainsi été inoculé, Max Béranger est élu maire de Gigors en 1971. « A Gigors, on a toujours voté à gauche. Faut voter à gauche, donc on vote à gauche. C’est comme ça... Un jour, après un premier tour où la gauche avait eu 75 voix, j’annonce à une amie, ce sera 75 au deuxième tour. Manque de pot, ça a été 74. Il y a un gars qui avait 40 de fièvre. Il n’a pas pu venir. Mais sinon, on ne pouvait pas se tromper. »
LA GUERRE DE L’EAU.- Max Béranger incarne alors cette génération de maires qui prend le pouvoir dans les années soixante dix, relayant une génération très marquée par la guerre. Les nouveaux élus sont pleins de projets de rénovation rurale. C’est à eux que l’on doit, par exemple, l’actuel District d’Aménagement du Val de Drôme, ultime avatar d’organisations autrement baptisées. Max Béranger fut de cette aventure. « Parmi la soixantaine de projets qu’on avait imaginé, il y avait même déjà l’idée de tirer parti de nos plantes...ce que fera Sanoflore, par la suite. »
Il se souvient, à Gigors, d’avoir renforcé le réseau électrique, d’avoir amené un approvisionnement en eau normal à Lozeron où l’ambiance était devenue tendue entre les habitants parce que précisément l’eau manquait.
Il a vu tout son petit monde changer. « La fin des guerres de religion, c’est 1950. Avant, un mariage mixte entre catholique et protestant, c’était une tragédie ».
LE CHEVAL DE COURSE.- Mais, Max Béranger qui aura eu 70 ans le 14 mars 2010 - « Le jour de la mort de Karl Marx, mais ça tu l’écris pas », ben si Max, pourquoi je l’écrirais pas?- est avant tout un agriculteur. Tous ceux qui passent sur le plateau des Chaux, voient souvent son break Volvo dans les vignes auxquelles il s’est mis, après avoir élevé des moutons, des volailles et cultivé sa terre. Il tend le bras et montre une lointaine plantation « Tu vois là bas, j’ai mis des amandiers. Pour la première récolte, cette année, j’en ai fait une tonne. » Et l’on sent qu’il en est fier, comme de toutes ses récoltes, avant celle là. Ou comme son ancêtre qui, en 1880, alors qu’il élevait des chevaux en un temps où il en fallait pour carrioles et labours, réussit même à vendre un cheval de course. Prix: 15 000 francs. Des francs de 1880. Ca, c’était du sérieux.EN PUBLIANT CE TEXTE, J'OFFRE GRATUITEMENT UN ÉLÉMENT DES ARCHIVES DU CRESTOIS. MAINTENONS DANS NOTRE RÉGION UN JOURNAL INDÉPENDANT QUI NOUS SOUTIENT.
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Par gervanne le 1 Octobre 2014 à 08:03
C'est à n'y pas croire. Le nombre de cimetières familiaux dans notre région pourrait avoisiner le millier. Les évaluations de l'Association pour la Sauvegarde des Cimetières Familiaux de la Drôme est, en tous cas, de près de 500 pour la seule région du Diois et peut-être de 200 dans la seule région de Bourdeaux. A ce rythme, pas étonnant qu'on approche le millier pour Diois et Crestois réunis. Mais ce millier là est terriblement méconnu. Depuis le printemps 2012, une petite équipe dioise s'est lancée dans un monstrueux travail de recensement pour lequel, du reste, elle a grand besoin de bras supplémentaires. Car, en certains endroits, la densité est à peine croyable: 40 à Menglon, 31 à Saint Julien, 30 à Poyols, 15 à Barnave, 15 à Laval d'Aix. Quelques localités n'ont même pas de cimetière communal comme Aucelon. Au Petit-Paris, ancienne commune désormais intégrée à Saint-Nazaire-le-Désert, l'ancien cimetière communal est désormais un enclos pour troupeaux! Il y a donc un immense travail de recensement à faire. L'association drômoise est toute récente mais en Poitou, vieille terre protestante un groupe de personnes a décidé en 1997 de créer l'Association pour la sauvegarde des cimetières familiaux protestants forte après plus de 10 ans d'existence de 250 adhérents. Elle exerce son action sur les départements de la Charente Maritime, des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne. Elle a effectué un considérable travail de repérage que débutent précisément les Drômois. Leur association a conçu une fiche technique précise.
CIMETIÈRE VENDU.- “C'est que, disent ses trois animateurs, certains sont menacés de disparition. On les repèrent parfois encore par les cartes IGN au 25 000°, mais tous n'y figurent pas.” Le risque de disparition est d'autant plus grand que tous ne sont pas cernés de murets, voire plantés d'arbres. Certains anciens ont souhaité être inhumés en plein champs. Et l'on connaît des cas récents où un exploitant contemporain a fini un beau jour par labourer la sépulture. Cette menace de disparition tient bien sûr beaucoup au désintérêt de familles qui ont parfois oublié cette vieille possession. Encore que possession ne soit pas le bon mot. Car il se peut, pour tout aggraver, que la propriété où se trouve le cimetière familial ait été vendue, ce qui ne fait pas perdre aux ayant droits (les lointains héritiers des défunts) leurs droits sur le cimetière. Historiquement, bien sûr, les cimetières familiaux sont essentiellement protestants.
Le Professeur Cabanel, grand spécialiste de l'histoire du protestantisme rappelait en 2008 les circonstances de leur naissance à l'hedomadaire Réforme: « L’édit de Nantes (1598), si attentif à déminer tous les conflits qui pouvaient blesser la paix de religion, a consacré deux articles (28 et 29) aux cimetières, ordonnant que « toutes les villes et lieux » soient pourvus d’un cimetière « commode » pour ceux de la « Religion prétendue réformée ». Les deux commissaires, l’un catholique, l’autre protestant, envoyés par le roi dans chaque province pour veiller à l’application de l’édit, ont fait de l’établissement de ces cimetières l’une de leurs tâches principales. Mais elle est restée souvent inachevée, tant les réticences catholiques locales étaient fortes, essentiellement dans les régions où le protestantisme était trop minoritaire ou disséminé. Grosso modo, toutefois, les protestants du XVIIe siècle ont eu à leur disposition un réseau suffisant de cimetières, bien plus dense que celui des lieux de culte, très strictement limité par l’édit de Nantes, on le sait. Ce réseau est brutalement démantelé au moment de la Révocation (1685). Les cimetières protestants sont désaffectés, transformés en places et parfois lotis (dans les villes), si bien que la mémoire de la plupart s’est perdue. Mesure logique : leur abjuration ouvrait à nouveau l’accès des cimetières paroissiaux à l’ensemble des « nouveaux convertis ». Mais ces derniers y ont vu une insupportable contrainte et beaucoup ont retrouvé et proclamé, au moment de mourir, leur fidélité à leur ancienne foi. Une mesure cruelle, dont la durée d’application a été brève, a ordonné qu’un procès soit intenté à ces morts et que les cadavres soient traînés dans les rues avant d’être jetés à la voirie, avec interdiction de leur offrir une sépulture décente. » Une association poitevine travaillant sur ce dossier a réussi non seulement à repérer un grand nombre de tombes mais aussi à apporter des éclairages sur un certain nombre de circonstances entourant les funérailles ce que, pour le moment, le groupe Diois n'a pas encore pu faire. Voici un exemple relevé par les Poitevins. « On peut citer le cas de la nommée Jeanne Branger du village de Paunay (NDLR: dans les Deux-Sèvres, actuellement partie intégrante de la commune de Saivres à quatre kilomètre Saint Maixent, et vingt cinq de Niort). Elle abjura le calvinisme sous la contrainte comme tant d’autres, mais ne se rendit jamais à l’église.En l’an 1700, à l’article de la mort, elle reçut la visite de François Boucher curé de Saivre, qu’accompagnait le sacristain François Maupin. Jeanne Branger refusa le secours de la religion qui, déclara-t-elle, n’était pas la sienne. Elle trépassa quelques heures plus tard et fut inhumée dans son jardin. Une instruction ayant été ouverte sur dénonciation, du dénommé Pierre Foucault de St.Maixent, le lieutenant général de St.Maixent , François Brunet sieur de l’Houmeau, ouvrit une instruction. Après audition de quelques témoins, le 1° avril 1700, la chambre criminelle de la sénéchaussée ordonna dans son jugement: " ...Avons déclaré et déclarons ladite Jollet atteinte et convaincue de crime de relaps et ordonnons l’exhumation du cadavre d’icelle par l’exécuteur des sentences criminelles de ce siège et que son cadavre soit traîné sur une claie, de la principale porte de la maison où elle est décédée jusqu’au bout de la rue principale du bourg de Saivre et privé de sépulture. Il sera adjugé en outre, au profit du Roi, sur les biens de la condamnée la somme de trente livres d’amende ". Et la sentence fut exécutée. »
ANONYMAT TOTAL.- Les marques de l'attachement au protestantisme chez nous se voient, parfois mais rarement, à des croix huguenotes qu'on y trouve. Cela se déduit aussi du fait que certaines localités généralement tenues pour catholiques, comme Jonchères en Diois, n'en possèdent pas. Au moment des guerres de religions, les protestants perdirent, en effet, leurs droits à être enterrés dans les cimetières collectifs. Et, par la suite, l'interdit a beau eu être levé, l'usage s'est maintenu. Pierre Martin, le trésorier de l'association, se souvient que lors du décès de ses grands parents, il était d'usage que la famille veille les défunts tandis que les voisins allaient creuser les tombes dans le cimetière familial. Mais il faut constater que de plus en plus de cimetières mixtes se rencontrent, reconnaissables parfois à ce que, sur certaines tombes, s'observent des crucifix qui ne sont pas dans la tradition protestante. A Laval d'Aix, la partie supérieure d'un cimetière familial a accueilli des défunts protestants, la partie inférieure des catholiques. “On trouve de tout en matière de décor, dit le président Jean-Claude Rouchouse. Il y a des cimetières où on s'en est tenu à l'anonymat total des défunts, la famille conservant quelque part chez elle un plan permettant de savoir qui est où. Et puis, ici où là, se trouvent des stelles, presque jamais de caveaux.” Curieusement, cette tradition bien ancrée en milieu protestant qui a amené Jean-Yves Durand à parler de “ponctuation protestante du paysage”, se répand dans des familles catholiques. “La loi permet de créer encore des cimetières familiaux, explique Jean-Luc Depaigne qui s'est plongé dans tous les textes légaux et réglementaires. En 1990, le préfet François Lépine demanda à ce que les cimetières familiaux fassent l'objet d'études hydrogéologiques. L'objectif était d'éviter des pollutions de nappes phréatiques et le risque que des glissements de terrain ne fassent bouger les corps. Le point de savoir si toutes les communes ou les personnes qui auraient pu ou du le faire se sont acquittées de cette obligation est plus qu'incertain. “Il nous arrive, raconte Pierre Martin, d'aller nous renseigner en mairie et de constater à l'évidence qu'il y a plus de cimetières sur le terrain que dans les archives restant de ces études hydrobiologiques".
LA LIGNE TGV.- Pour l'amusement, signalons qu'une rumeur circule, dans les communes sur le trajet de la ligne TGV, selon laquelle la SNCF, déjà bien assez embêtée par la contestation de sa voie de chemin de fer, a préféré ne pas fâcher les protestants et viser juste assez bien pour éviter des cimetières familiaux. A quoi tiennent des choses. “Nous nous sommes donc donnés comme première étape, raconte Jean-Luc Depaigne, de recenser. Et nous sommes très loin du compte. Mais nous aimerions bien dans certains cas envisager des restaurations. Mais c'est compliqué. Par définition, si un cimetière est abandonné, c'est qu'on ne sait plus à qui s'adresser. Et les communes sont plutôt embêtées. Il faudrait aussi monter des dossiers de subventionnement.”
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Par gervanne le 26 Septembre 2014 à 08:06
Cet article est paru dans LE CRESTOIS EN 2010
La fermeture du site d'Aouste de fabrication de sacs en papier tourne une page de l'économie de la région. Avec des usines comme Latune et Lafarge Emballage
Souvenir d'enfance. Mon père avait une Simca Aronde. La plus belle Aronde de la terre puisque c'était la sienne. Je nous revois arrivant dans l'Aronde depuis la Gervanne au stop de Blacons, lui tendant le bras vers l'usine Latune sur la gauche et disant: « Tu vois, chez Latune, ils fabriquent du papier, même pour la Reine d'Angleterre. » Comme c'est lui qui le disait, c'était vrai.
D'ailleurs, on trouve facilement des échos de la renommée de cette entreprise, par exemple, dans une correspondance du fameux dessinateur suisse Rodolphe Töpffer de 1839 où il est fait allusion à du « Vergé vieux, année la comête, de Blacons ». Année de la comète! Ca vous a une de ces allures!
Et il est sûr que la fermeture de l'usine d'Aouste, de même que d'autres rumeurs inquiétantes, portent un rude coup à toute une histoire papetière de notre région. Elle ferme un chapitre majeur de l'histoire économique du Crestois. Il nous reliait au XIX° siècle et même avant.
PATERNALISME.- Une étude due à un des directeurs de l'ancienne usine Lafarge Emballage d'Aouste, M. Fluet, qui date du milieu des années soixante dix, situe les tout débuts de cette industrie vers 1600!
S'agissant de sa célèbre consoeur de Blacons, fondée par la famille Lombard Latune, Robert Serre dans « 1851: Dix mille drômois se révoltent » cite le chiffre de 160 salariés au milieu du XIX° siècle. Tout le monde n'est pas d'accord. Alain Sauger (« La Drôme, les Drômois et leur département 1790-1990 ») parle lui de 300 ouvriers. Pour ne rien arranger, Jean Noël Couriol, dans une passionnante petite étude parue en 1996 (« Papeterie Latune, Historique et témoignages ») donne lui trois chiffres: 89 ouvriers en 1843, 147 en 1867 et 190 en 1898. Mais on ne peut exclure que les trois sources ne recouvrent pas la même chose: Latune aura à Annonay une très importante implantation, notamment à côté des Montgolfier. Il se peut que certains de ces chiffres totalisent Annonay et Blacons. Nous y reviendrons.
Partout, Latune est citée comme un modèle d'innovation technologique. Et il traîne autour de l'entreprise une réputation de sympathique paternalisme de ses dirigeants.
(NOTRE PHOTO: LE DYNAMITAGE DE LA CHEMINÉE EN 1970)
Une étude du célèbre géographe Raoul Blanchard, (« L'industrie papetière du Sud-Est », publiée dans La Revue de Géographie Alpine de 1926), présente pour notre documentation d'aujourd'hui, l'immense intérêt d'être contemporaine d'une activité alors très forte de l'industrie papetière.
Pour ce qui nous concerne, elle signale, dans notre région, quatre papeteries, deux tirant leur force de la Drôme (Allex et Blacons), deux autres, à Aouste, usant des eaux de la Sye et de la Gervanne, encore faut-il préciser que Latune, à Blacons, en cas de défaillance de la Drôme, recourait aux eaux de la Gervanne. Le point est discuté. Jean Noël Couriol parle lui essentiellement des eaux de la Gervanne.
PETITS CULTIVATEURS.- Raoul Blanchard relève que Latune est une filiale de Johannot et Latune d'Annonay, déjà citée. Elle était, en particulier, connue pour son dynamisme à l'exportation dans le monde entier. L'usine de Blacons produisait alors des bristols, des papiers pour machine à écrire, des registres, des buvards, des articles « très blancs ». A Allex, une papeterie présentait cette originalité par rapport à la plupart de ses consoeurs de la région, qu'elle produisait du papier à partir de la paille récoltée alentours. Cette pratique se retrouvait chez quelques autres producteurs drômois.
L'étude note que « presque tous les ouvriers sont de petits cultivateurs, satisfaits de leur sort, et que l'usine n'a même pas à loger, sauf à Montségur et Blacons qui en hébergent à peu près le tiers ». Dans un développement qui ne concerne pas spécifiquement notre région mais partout où l'industrie papetière employait des paysans, Raoul Blanchard note que ceux-ci « conservent aux rapports entre employeurs et employés cette allure patriarcale qui a si complètement disparu des genres d'industrie urbaine. (…) Ces paysans qui joignent des salaires industriels à leurs petits profits de cultivateurs, n'ont aucun désir de se lancer dans des revendications. Leur bénéfice est trop grand à cette partie double pour qu'ils risquent de la compromettre. Les syndicats sont extrêmement rares dans les usines de type rural; les grèves presque inconnues ».
Ci dessus à droite une papèterie bien disparue d'Aouste: la papeterie de La Pialle
Le chiffre de 309 salariés dans ces années 20 pour l'ensemble de l'industrie papetière de la Drôme est avancé au détour d'un paragraphe. Ce sont pour l'essentiel, donc, des petits paysans, et on compte infiniment moins d'étrangers que l'on en signale partout ailleurs dans la profession, mais tout de même 7 Italiens et 11 Arméniens. On sait que la Drôme fut une base de repli de beaucoup d'Arméniens après le génocide de 1915. On en retrouva beaucoup aussi dans les filature d'Ardèche et la communauté arménienne reste toujours très forte dans l'agglomération valentinoise.
La famille Latune est aussi active dans la vie de la région. Jean Latune sera impliqué dans la résistance, raflé, avec ses deux fils, par la Gestapo en septembre 43. Il parvient à s'échapper de son convoi vers Buchenwald le 17 janvier 1944, si nous en croyons le colossal travail de Robert Serre sur les camps de la mort.
A LA MAIN.- S'agissant plus précisément de l'usine d'Aouste, connue par beaucoup sous le nom d'« usine Lafarge Emballage », l'étude de M.Fluet, déjà citée, présente un historique à partir de 1850 où le maire d'Aouste, M. Peloux, exploitait, semble-t-il, deux papeteries, celle d'Aouste et une autre, dite de la Pialle, sur le route de Cobonne. On séchait alors les feuilles de papier en les pendant comme du linge.
Vers 1882, l'affaire est signalée comme appartenant désormais à « Filliat Frères » du nom de Pierre Joseph et Claude François Filliat. En 1917, on parle de Filliat et Nadal, en 1920 de la Société Anonyme des Papeteries d'Aouste, propriété de M. Alibaux. C'est le gendre de celui-ci, M. Fisch qui se lance dans la fabrication de sacs de grande contenance. Dans nos temps de machinisme forcené, songeons que lorsque M. Fisch se lance, dans les années 20, dans la fabrication de sacs, on pliait le papier à la main pour faire le tube de ceux ci . Les fonds étaient cousus. Du reste, la machine à coudre qui le faisait est au musée des Berthalais. En 1928 est créée la SACNA( Le Sac National), dirigée, à partir de 1930, par M. Jean Reymond. C'est au départ de celui-ci, en 1960, que l'affaire prend le nom de Lafarge Emballage. Le groupe cimentier, qui a besoin de sacs pour se production, en a logiquement pris le contrôle. Saint Gobain fera aussi un petit tour de propriétaire. Par la suite, Lembarcel-Smurfit reprendront l'entreprise ainsi qu'à Crest, la SOCAR. Tout ceci se terminant par la fatale prise de contrôle par Mondi qui va donc fermer le site.
ANDRÉ LE CORRE, PORTEUR DE LA MÉMOIRE DE LA PAPETERIE
La papeterie d'Aouste cessera de produire du papier en 1971. On rase les bâtiments qui lui étaient dévolus. L'entreprise va désormais se spécialiser dans les sac en papier. L'auteur de la fameuse étude à laquelle nous avons beaucoup emprunté ici, M. Fluet, n'est autre que le directeur de l'affaire de 65 à 66 et son travail s'arrête à 1971.
FARCES.- André Le Corre (photo), qui devient conducteur de machine en 1970 et travaillera jusqu'en 1997, est une formidable mémoire de l'usine d'Aouste. Il se souvient d'une très bonne ambiance entre la cinquantaine d'ouvriers qui y travaillaient alors. Son album de photos regorge de clichés de casse-croûtes, de sorties et de remises de médailles. « Le samedi soir, se souvient-il,vers minuit, en sortant du cinéma, le contremaître venait parfois faire un tour pour boire un coup avec nous. Pour certaines sorties, il arrivait qu'on fasse des farces même au directeur, M. Haëntjens, qui nous en faisait tout autant. On travaillait en 3 X8, à raison de 48 heures par semaine. Nous finissions le dimanche matin à 5h! L'affaire marchait très bien. L'usine avait 350 à 400 clients, beaucoup pour des sacs d'aliment. Ma propre machine pouvait produire jusqu'à 40 000 sacs en 24 heures. » Et, toute la petite cité d'Aouste, où se recrutait l'essentiel du personnel, a longtemps vécu au rythme de l'usine.
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Par gervanne le 24 Septembre 2014 à 07:51
Cet article est paru dans Le Crestois en juin 2011
A Francillon sur Roubion, si vous voulez être définitivement ridicule dans le milieu des chasseurs, vous dîtes que vous ne connaissez pas les Bompard. Croyez moi: on en rira pendant des semaines. Parce que les Bompard à Francillon, c'est une légende. Par un mystère qui mériterait que des experts l'examinent, tous sont d'incroyablement bonnes gâchettes. Il y a Marcel, le père, Josette, la mère, Bruno et Michael les deux garçons, qui ont cessé depuis longtemps d'être des garçons, pour devenir des hommes solides. D'ailleurs, si, plutôt que d'avoir l'air ridicule, vous voulez donner l'impression que vous connaissez bien ce bassin de Bourdeaux, dites que vous connaissez un Bompard. N'importe lequel, ça n'a pas d'importance. Des Bompard, dans cette petite région, il y en a partout. Vous ne risquez pas de vous tromper. La preuve: Josette Bompard, épouse de Marcel, était déjà née Bompard. Mais de Poët Celard, ne mélangeons pas tout.
Chez les Bompard, dit-on, il n'entre pas un étourneau sur la propriété sans que tout le monde soit au courant. Dans l'exploitation d'une quarantaine d'hectares, sur les hauteurs de Francillon, avec une vue admirable sur les montagnes d'Ardèche, juste sous une petite forêt qui forme un chapeau à la montagne, le gibier n'est pas rare. Il y a matière à observer. Et Josette précisément, petite femme vive, rieuse, solide, d'un caractère affirmé, n'est pas la dernière: « Il y a les yeux, c'est fait pour regarder », dit-elle dans un bon rire. Alors, elle vous raconte l'étourneau qu'elle a vu le matin et le renard que Marcel a remarqué la veille. Les Bompard, ce sont des chasseurs à l'ancienne, des chasseurs paysans qui sont le fusil à l'épaule parce qu'ils aiment leur nature. Lorsqu'on parle à Josette des gars qui circulent en 4 X 4 avec des walkies talkies pour se signaler les bêtes, elle soupire: « Ooooh non, mais c'est pas de la chasse, ça. »
PETOIRE.-N'empêche, le virus, elle l'a bien attrapé. « Je me suis marié à 19 ans. Nous avons eu des enfants, il a fallu les élever. Et puis, je m'y suis mise en 1994. » Et pas qu'un peu. Le 9 décembre 1994, elle a tiré son premier coup de fusil et abattu sur le champ un sanglier. « J'étais derrière un arbre. Oh, si j'avais vu comme il était gros! » Peut être, mais elle l'a fait quand même. Depuis, ses réussites au tir ont fait le tour de la région. Quand on lui dit que tout de même il a bien fallu qu'elle apprenne pour obtenir cette incroyable dextérité au tir, elle dit joliment: « On écoute les grands ».Et lorsqu'on la taquine en lui disant que cette saison encore un doublé de chevreuils, un doublé de sangliers, ça n'est vraiment pas mal, elle répond: « J'essaie de m'appliquer ». Ca oui alors! Son truc, à Josette Bompard, ce sont les grives. Et on lui prête de rares performances. « Il vaut mieux prendre une petite carabine. Ca ne fait pas de bruit au moment de la détonation. Un rôti de grives, c'est rudement bon. » Elle ne veut pas reconnaître qu'elle est bonne cuisinière, mais les chasseurs de l'association locale lui ont fait sa réputation en la matière. Et il se raconte, dans le pays, des retours de chasse où il faut chauffer d'immenses bassines, racler des heures durant, tailler les morceaux. Mais où aussi se fabriquent des souvenirs d'amitié et de gaieté qui sont ceux qui restent.
Josette Bompard n'est pas du genre à s'éterniser sur des questions de technique et de matériel. Elle a une vieille pétoire à canons superposés sortie, jadis, de chez Manufrance. Et ça fait bien l'affaire. Ce qui compte c'est l'observation. Pas les « morceaux » justement comme disent, paraît-il, les mauvais chasseurs, ceux qui font la course à la performance. Ce qui compte, c'est d'aller voir, d'observer, de connaître sont petit monde. Il faut voir Josette mimer de ses mains, les mouvements des grives. Des fois, le soir, ou le matin au contraire, elle prend sa voiture et part pour deux heures regarder dans les coins qu'elle connaît « Tant que je peux, j'y vais. Même les fois où on est invité à déjeuner, le soir on va faire un petit tour. Ca fait toujours plaisir de voir une bête. Il y a le plaisir des yeux aussi. » Avec le chasseur qui m'accompagnait le jour où eût lieu la rencontre avec Josette Bompard, on s'est mis à compter les jours de l'année où soit pour cause de chasse fermée, soit pour cause de petits enfants à garder, il n'était pas possible d'aller à la chasse: Eh ben, ça fait pas beaucoup!
LOUP.- A la ferme, il y a une dizaine de chiens qui courent à peu près sur tout gibier. La grande affaire de ces dernières années fût le passage non loin du loup à Noël de l'an passé qui fit des dégâts à Félines sur Rimandoule, la commune voisine et que deux personnes de la région ont pu voir. Par ailleurs, la multiplication des sangliers fait que leur nombre reste important. « D'abord, vous avez eu une baisse de la population paysanne, ce qui fait qu'à une certaine époque ils ont été moins chassés et donc ils se sont multipliés. Ensuite, leur alimentation s'est considérablement améliorée du fait des productions plus riches qu'on fait désormais. Donc les femelles ont des portées plus importantes. »
Dans la cuisine où nous menons la conversation tandis qu'à l'extérieur Marcel et Bruno s'escriment sur la chaîne d'une machine agricole, point de fétichisme de chasseur. Point de trophée ou de vieux fusil. La chasse, la vraie, c'est dans les bois ou au sortir de ceux-ci que ça se passe. A attendre, attendre longuement, observer, écouter. Et parfois tirer.
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