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La France va changer de régime mais elle ne le sait pas
La notable accélération à laquelle on devrait aboutir en matière de référendums locaux (je me demandais si on disait referendi, mais non) va profondément changer nos moeurs politiques. J'ai déjà eu l'occasion de signaler ici combien, faute de pouvoir intervenir sur les "grandes affaires", était forte la montée de la contestation sur des affaires locales (Notre Dame des Landes, Sivens, Roybon). Mon sentiment est que l'affaire est de deux ordres: d'une part le dépit de ne pouvoir intervenir sur ce qui compte vraiment, d'autre part la dérive, déjà signalée, d'élus qui sont pleins de dévouement et de bonne volonté, mais qui doivent s'enfoncer dans des dossiers de plus en plus complexes, par conséquent de plus en plus insaisissables par la population. Les mots mêmes utilisés pour décrire ce qui est en cause, l'empilement des intervenants, tout cela donne le sentiment d'une complexité fabriquée. Je crois beaucoup moins que d'autres, qui encombrent le net, à une vision complotiste de l'exercice du pouvoir local. L'immense masse des élus est composée de chics types dévoués. C'est vrai, il y a quelques féodaux qui brouillent terriblement l'image du tout. Reste donc ceci:
Il se trouve que j'ai une raison particulière pour avoir une opinion sur les processus de référendums d'initiative locale: j'ai longtemps exercé en Suisse. J'en ai vu votés (ou refusés) des dizaines. Ce qu'il faut bien voir, c'est qu'il y a deux éventualités.
Les grands partis nationaux retrouvent la raison, comprennent que l'espèce de cinéma qu'ils nous font d'oppositions scénarisées qui ne correspondent pas à des réalités de fond, ne peut plus fonctionner. Alors, les référendums locaux se concentreront sur leurs vrais objets, ici une piscine, là une autoroute, etc. Ce sera compliqué parce que les dossiers sont toujours techniquement compliqués; il faudra perdre des heures à la pédagogie, mais ça se fera. Simplement, effet induit, les oppositions largement mises en scène lors des élections municipales auront du disparaître. Car il faudra bien que l'esprit national de concertation se répercute à l'échelon inférieur. Ceci suppose, par exemple, que l'on revienne entièrement sur les lois que gauche comme droite ont fait voter qui imposent des constitutions de listes politiques à l'échelon des communes de plus en plus petites. Je rappelle - ce qu'on a complètement oublié- qu'il y eût un temps où la possibilité de rayer des noms sur des listes aux municipales (le panachage) existait même dans des villes moyennes. Horreur, cela voulait dire qu'on votait sur la qualité des candidats. Je me suis fait raconter cela non pas par d'affreux gauchistes avec des os dans le nez, mais par un très sympathique notaire ancien élu d'une droite gentillette qui regrettait le temps où l'on apprenait à travailler ensemble. Comme l'on sait, ces nouvelles lois ont été adoptées par la volonté unanime des professionnels de la politique de "dégager des majorités stables", c'est- à-dire de gérer les affrontements.
On continue comme aujourd'hui. Donc, on est dans une situation nationale d'opposition permanente. Et donc cela va se retrouver localement. Les lois que je viens de signaler joueront pleinement leur effet et il y aura constamment des comptes à régler. Par ailleurs, l'impuissance maintes fois signalée à intervenir sur les dossiers nationaux va pousser des acteurs locaux à chercher des noises sur ce sur quoi ils ont encore prise. Ce sera de la bagarre par dépit. Donc, on va voir les tribunaux administratifs encombrés d'affaires dérisoires. Ce sera excellent pour l'emploi parce qu'il faudra recruter des juges...et des CRS. On voit bien, en effet, la vitesse à laquelle ces affaires peuvent prendre des tours violents (Notre Dame des Landes, Sivens etc.)
Naturellement, mes sagaces lecteurs ont parfaitement compris que la première hypothèse était une pure déconnante car rêver de partis qui admettent la nécessité d'une collaboration, dédramatiser le jeu, c'est ruiner tous les acteurs qui ont intérêt à une mise en scène de l'affrontement. Et peu importe qu'objectivement, sur le terrain, dans des milliers de villages ou de petites villes des gens de bonne volonté travaillent bel et bien ensemble, pour le journal de 20 heures, il faut que ça camphre.
LES LIMITES DU POUVOIR.- Je faisais plus haut référence à mon expérience suisse. Ah ça, c'est vrai que les élus râlent souvent lorsqu'on les menace de référendums d'initiative locale. C'est vrai que les dossiers sont plus longs à instruire, que la concertation est lourde. Sauf que la concertation est mise au centre de la table. Elle est parmi les premières choses auxquelles on pense. Avec de surcroît un contexte d'exercice fédéral (nous dirions national) où la quasi-totalité des partis sont au pouvoir. Et non pas parce que les Suisses sont meilleurs que les Français, mais parce qu'ils ont accepté le principe de réalité: ils ne prennent pas le pouvoir très au sérieux parce qu'ils ont pris acte de ses limites.
Mais comme nous ne ferons pas cela, comme l'hypothèse 2 va jouer à plein, les dossiers seront paralysés un peu partout. On aura ici ou là des actes de violence. Le pays se paralysera tout doucement. Et nous tomberons en panne.
Naturellement, il reste une solution alternative: surtout ne rien changer. L'ennui c'est que c'est trop tard. L'exaspération est là et bien là. Le public est bien formé, l'information circule, parfois bidon, parfois bonne. Contre tout cela, on ne peut plus rien.
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