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Contre son camp
Charles de Gaulle a joué un rôle déterminant dans la décolonisation (photo: le discours de Brazzaville). C'est sous son mandat, Pompidou étant Premier ministre, que fut adoptée la loi Neuwirth sur la pilule contraceptive. Il était pourtant conservateur. Valéry Giscard d'Estaing a fait voter une loi concernant la libéralisation de l'avortement, la majorité à 18 ans et le divorce par consentement mutuel. Il était aussi conservateur. François Mitterrand a laissé son premier ministre Laurent Fabius adopter le "tournant de la rigueur" en 83. C'était un virage à droite d'un président de gauche. Malheureusement les exemples - sauf omission- s'arrêtent un peu là parce que les mandats de Chirac apparaissent comme une longue sieste. Le rapport Gallois sur la désindustrialisation du pays est, à cet égard, éloquent. Quant à Sarkozy, libéral tendance bazar, il a certes du freiner ses volontés de dérèglementation du fait de la crise. De ce fait il a bel et bien irrité son camp. (Pour mémoire, rappelons qu'il était en 2007 pour le mariage gay...)
On pourrait rechercher sans peine des exemples à l'étranger. Le plus flagrant est celui de Schroeder, socialiste allemand, qui fait adopter des textes très défavorables au monde du travail, appliquant en 2004, les precriptions de Peter Hartz.
Et voici donc que Hollande, depuis un an au moins, joue contre son camp à son tour.
COMPLOT?.- Cette propension à jouer contre son camp pose des questions. S'agit-il, comme l'écrivent les partisans de la version complotiste de l'histoire (qu'on retrouve tant à l'extrême gauche qu'à l'extrême droite), du fait que le vrai pouvoir est ailleurs (dans les banques, dans des cénacles secrets)? Cette clé de lecture a le formidable avantage de marcher à tous les coups. Si tel match a été perdu c'est que de mystérieux personnages se sont agités dans l'ombre, si n'importe quelle loi est votée, c'est la volonté d'une quelconque franc-maçonnerie, etc. Notre monde serait animé par un secret.
La deuxième explication est que le pouvoir change ou, si l'on préfère, qu'une fois au pouvoir le tableau de la situation se modifie. Le gouvernant a une vision panoramique, alors que jusque là il n'avait qu'une succession de visions ponctuelles. Il proposait des solutions pour chaque situation particulière, mais, pour la vision globale de la société se contentait de pompeux bavardages. De ce point de vue, Hollande est une bonne illustration, mais Sarko l'avait été tout autant.
La troisième explication est qu'il n'y a pas de pouvoir. Il y a des apparences de pouvoir que les dirigeants s'efforcent de mettre en avant (Sarkozy) et, lorsqu'ils ne le font pas ou mal (Hollande), ils apparaissent pour ce qu'ils sont en fait: nus.
LES MOUSTIQUES.- Cette dernière explication (qui me satisfait avec un zest de la précédente) doit être pondérée par le fait qu'il y a incontestablement des petits pouvoirs locaux. Des moustiques, si l'on veut. Des hommes qui font quelques piqûres, qui poussent modestement de petits aspects du sens général du mouvement. Des élus locaux. Des dirigeants d'entreprises publiques ou privées. Des petits innovateurs à la noix qui bricolent des machins improbables. Ca n'est rien, mais c'est le total qui fait beaucoup. Malheureusement ce total est insaisissable. On ne peut pas le présenter au journal de vingt heures. Serait-il le sens de l'Histoire?
Et, pour revenir à l'idée de jouer contre son camp, je dois dire que j'ai une certaine admiration pour ceux qui endossent cette responsabilité. Parce qu'ils se confrontent à la meute. Je suis exaspéré par la faiblesse morale qui sous tend le Hollande bashing contemporain. Je ne vois pas de forte vertu derrière la propension à dire "ça serait mieux si on faisait autrement".
Il est intéressant d'observer que De Gaulle et Giscard ont perdu pour une bonne part pour avoir joué contre leur camp. Du moins ont-ils joué. Sarkozy a certes perdu, mais non point sur sa politique, mais sur sa personne. Il a certes agi contre son camp. Il a exaspéré ses amis par sa manière d'être. On sent bien que Hollande risque un échec personnel majeur, à supposer même qu'il se représente, mais du moins aura-t-il agi.
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