• L'histoire qui fait mal parce qu'il faut la renouveler

    L'histoire qui fait mal parce qu'il faut la renouvelerL'histoire n'est pas un long fleuve tranquille. Pour les besoins de futures émissions, je suis amené à m'intéresser à l'histoire contemporaine de la Pologne sous l'aspect des rapports entre les juifs et les Polonais. Il se trouve que depuis une petite vingtaine d'années sont sorties des études la plupart bien documentées posant de sérieuses questions sur l'attitude des Polonais vis-à-vis des juifs, notamment dans des massacres dont certains précèdent la guerre, d'autre la suivent (Kielce) et le plus terrible se déroule pendant le conflit (Jedwabne). Lorsque ces émissions seront réalisées je les mettrai en lien ici même.

    Contre son campRACKET.-Mais ce qui me frappe c'est une certaine périodicité dans ce temps des remises en cause. La Pologne s'y met certes avec retard avec l'apparition en 1989 d'un régime démocratique classique. On voit bien pourquoi: le régime communiste avait besoin d'une unanimité de facade. Au demeurant, ça ne l'a pas empêché de chasser ses juifs en mars 1968, épisode peu connu à l'Ouest (Les communistes roumains, eux, faisaient beaucoup mieux: ils rackettaient les juifs en partance pour Israël en fonction de leur niveau d'études...).

    En France, le livre qui ouvre au grand réexamen de l'histoire de la guerre est de l'Américain (!) Robert Paxton en 73, deux ans après la sortie en salle du Chagrin et la Pitié.

    En Suisse, la Commission Bergier pond une succession de rapports concernant la période de la guerre de 97 à 2001.

    En Espagne, en 2008, le juge Balthazar Garcon, entame une procédure (qui fera un flop) sur les "disparus du franquisme", mais les historiens l'avaient nettement précédé.

    Contre son campPONTES.- Je ne peux pas me défendre d'un peu d'amusement quant à la transition générationnelle qu'on voit bien chez les historiens. En gros, chaque génération d'historiens a son récit dominant. Je ne dis pas exclusif, mais dominant. Et comme il se trouve que les historiens ont la même longévité que les chauffeurs de taxis, il faut analyser leur production sur une vie professionnelle moyenne de 35 ans environ. Les dix premières années sont celles de petites publications honorables mais sans plus. Si on est un peu dégourdi dans les dix années suivantes, on fait quelques coups qui vous font passer à la télé et obtenir un bon poste et on finit comme ponte, siégeant dans tous les comités de rédaction des revues savantes à mettre des bâtons dans les roues de la génération qui pousse.L'évolution que je retrace ici n'est de loin pas sans rapport avec ces bascules de générations.

    L'histoire qui fait mal parce qu'il faut la renouvelerDans le cas de la France, on voit bien que s'installe une historiographie critique de la période de la guerre à partir de 1975 en gros: des historiens qui ont 35-40 ans, qui ont fait leurs premières armes et qui peuvent faire des "coups" après la percée de Paxton, opportunément venu d'Outre-Atlantique. En Suisse, c'est un peu plus tardif mais cela s'explique par le fait que la guerre n'est devenue un sujet que par le biais de l'affaire des fonds juifs en déshérence (milieu des années 90)... et là encore sous la pression des Etats-Unis. Il n'en reste pas moins que dès lors toute une jeune génération d'historiens comme Hans Ulrich Jost que son prédécesseur Georges-André Chevallaz traitait de gauchiste avait ouvert la voie dans les années 80.

    Comme en Pologne, l'Espagne n'a pas pu avoir une histoire pleinement libérée avant la disparition du franquisme et l'installation de la démocratie (1975). Ces deux cas faussent un peu mon raisonnement, puisque, sans doute, dans ces deux pays, se trouvaient des historiens qui rongeaient leur frein. Au passage, je note que pour l  a Pologne aussi le rôle des historiens américains ou plutôt polonais vivant aux Etats-Unis comme Thomas Gross à la fin des années 90 sur le massacre de Jedwabne.

    Contre son campCENSURE.- Et dans tous ces cas, on a vu la protestation de la société bousculée dans son récit national traditionnel. Actuellement en Pologne, on devine en arrière fond de cette protestation une poussée d'antisémitisme (avec d'opportunes publications sur la police juive du ghetto de Varsovie en quelque sorte en réponse...). En Suisse, il y eût un comité d'historiens (il est vrai amateurs) pour remettre le récit ancien dans les rails. En France, le Chagrin et la Pitié a été interdit des années durant à la télévision. Il finit par y être diffusé en 1981. Je reprends, avec prudence, à Wikipedia une affirmation selon laquelle ce fut Simone Veil - alors administratrice de l'ORTF- qui s'y opposa ce qui est surprenant. Et cette phrase aussi de la m  ême source attribuée au réalisateur Marcel Ophüls, dans ses mémoires: « Le directeur général de l'ORTF était allé voir le Général à Colombey, pour lui demander ce qu'il devait faire de ce film qui évoquait des vérités désagréables ». De Gaulle lui aurait répondu : « La France n'a pas besoin de vérités ; la France a besoin d'espoir. » « D'une certaine manière, écrit Marcel Ophüls, je trouve cette réponse magnifique et d'une très grande classe. Mais on ne faisait pas le même métier, le Général et moi ». Si non e vero et bene trovatto.

    Contre son campL'histoire qui fait mal parce qu'il faut la renouvelerOPPORTUNISTE.- En Espagne, le juge Garzon, poursuivi en justice a piteusement mal fini sa carrière. Là encore, la droite extrême n'y est pas pour rien. Au passage, en Pologne également (et en Allemagne), les tribunaux ont eu à examiner le livre d'Agata Tuszynska sur Wiera Gran (photo), la partenaire du fameux pianiste (de Roman Polanski, après avoir été celui de Spillman, nom du véritable pianiste qui l'oublia un peu opportunistement dans ses mémoires), à la fois accusée et accusatrice de faits de collaboration dans le ghetto de Varsovie.

    L'histoire change de cap mais c'est souvent dans la douleur.


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