• Médias: la grande déception d'internet

    La tendance lourde des médias et tout autant des réseaux sociaux est de basculer dans le commentaire. Lentement, tout autant du reste que bien des administrations, des politiques, etc., il n'y a plus de journalistes sur le terrain. Le motif en est simple: ça coûte cher. Donc, à part une poignée de confrères qui ont la passion chevillée au corps et qui paient de leurs deniers, chaque jour un peu davantage des informations passent sous les radars. Forcément, elles viennent d'au-delà du périphérique des grandes villes.

    L'exercice professionnel consiste à aller regarder ce que d'autres font sur le net et de le recopier avec quelques variantes. La recopie est un phénomène lourd et ancien, mais il a pris une extension stupéfiante par les réseaux sociaux.Nous baignons donc dans un jus renouvelé toutes les 24 ou 48 heures d'informations qui sont toujours les mêmes mais fortement éditorialisées. L'exemple de l'étudiant grièvement blessé à l'Université de Tolbiac, qui s'est avérée fausse, est emblématique: les piteux acteurs de l'affaire ont du admettre que s'ils avaient embrayé c'était parce que d'autres sites (d'abord Reporterre, puis Marianne, puis Le Média) donnaient l'information. Il ne fallait pas s'arrêter en si bon chemin: lors de la fête à Macron, c'est une photo de la foule lors de la coupe du monde de football 1998 qui est diffusée sur les réseaux sociaux.  Recopie partout, vérification nulle part.(Le fâcheux, au surplus, dans l'affaire, étant que le site initialement fautif, n'est généralement pas le pire).

    Médias: la grande déception d'internetSollicitons les expériences anciennes car elles continuent de nous enseigner: Lorsque Le Monde faillit mourir, au moment de la guerre du Cambodge, de sa maladie de l'éditorialisation constante, l'équipe qui le sauva jeta ses journalistes dans la rue et leur dit: "Allez voir ce qui se passe". Et Le Monde fut sauvé. Les premières formules de Libération ont obtenu un succès bien au-delà de leur public idéologiquement proche, en faisant même un phénomène de société, parce que l'on y avait un éclairage sur des mondes que l'on ne connaissait pas.

    La déception venue des canaux nouveaux offerts par internet est immense. Où est le frais, le nouveau, l'inédit? Pratiquement nulle part. Où sont les gaillards qui devraient arpenter le terrain pour ramener des portraits de personnages méconnus, des initiatives intéressantes, des belles personnes? On pardonnera que je défende ici une initiative à laquelle je suis étroitement mêlé et qui tente de remplir ce contrat. Mais c'est si rare! 

    Ah ça! Combien de fois nous a-t-on vendu, ces derniers mois , des projets qui allaient faire trembler l'establishment médiatique? Mais pour quel résultat!. Un des exemples emblématiques à cet égard est Le Média, proche de la France Insoumise. Le problème n'est pas qu'il ait telle ou telle orientation. Le problème est que c'est un robinet à commentaires filmés en studio.

    Médias: l'épidémie qui s'annonceC'est très révélateur de la faute d'analyse qui est là derrière ou plutôt de l'absence d'analyse de ce qu'est vraiment la télévision. La télévision ce sont des images du terrain, pas de la radio filmée. Du terrain, du terrain, du terrain. Les émissions qui restent dans notre imaginaire collectif - Cinq colonnes à la Une en France, Temps Présent en Suisse- sont des émissions où l'on est allé sur le terrain où l'on a filmé, filmé, filmé. Si Massoud est devenu célèbre, ça n'est pas parce qu'on nous en a pompeusement parlé en plateau, c'est parce qu'on ait allé le filmer en Afghanistan. Il est stupéfiant que cela ne se soit pas imposé absolument, car il eût fallu songer aux grands ancêtres du même bord politique. Pourquoi est-ce que, l'opinion américaine s'étant retournée, les Etats-Unis ont du quitter le Vietnam ce qui fut le combat de toute une génération de gauche? Parce que des images de photographes ou de cameramen de la presse la plus classique ont révulsé l'opinion.

    Et qu'on ne vienne pas objecter une absence de moyens. C'est soit un gros mensonges, soit une sottise absolue. La petite expérience évoquée plus haut avec notre bande de copains m'autorise à dire qu'on peut maintenant pour des prix spectaculairement bas faire des choses tout à fait honorables. La réalité est qu'il n'y a ni la volonté, ni l'ardeur au travail qu'il faut pour creuser. Pendant qu'on creuse, on ne passe pas à la télé. Au surplus, hélas, les réseaux de contacts de bien des journalistes s'étiolent, faute d'être resollicités.

    Malheureusement, l'influence des médias (encore un peu) et des réseaux sociaux (beaucoup) fait que ce vide dans les tuyaux, ce ressassement permanent influe sur la société et particulièrement sur les décideurs. Quelques coalitions internationales de journalistes supportées par de grands journaux ultra-classiques comme celle qui révéla, entre autres, les Panama Papers, sauvent l'honneur. Mais il est difficile de ne pas voir que ceux qui les composent viennent du monde de Gutenberg. Et que du côté de la presse internet, on attend toujours.


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