• Dans la mécanique folle des marchands de livres

    Conversation avec un éditeur autour d'une tasse de café. Il me confirme une information que j'avais: les éditeurs doivent payer les grandes surfaces du livre pour avoir leurs ouvrages bien exposés dans certains lieux favorables du point de vente. Un de mes amis vient de publier un livre en Pologne: même histoire. Conséquence: les petits éditeurs ne peuvent défendre leurs textes à armes égales. Mais d'un autre côté, comme même les gros éditeurs doivent pouvoir rentrer dans les frais de ce racket des librairies à Bibliothèque du Trinity College de Dublingrande surface, il faut qu'ils soient assurés d'une grande vente. Donc finis les textes compliqués, adieu les nouveaux venus. Il faut du standard, du confirmé. Parce que tout le monde est pris dans un engrenage dément. L'éditeur qui veut s'assurer d'une large diffusion va devoir envoyer un grand nombre d'exemplaires à travers les points de vente. Ca ne veut pas dire qu'il va les vendre. Et neuf mois plus tard, il risque de retrouver avec un gros montant d'invendus qu'il va falloir financièrement restituer aux libraires qui retournent ces volumes. D'où des maisons qui, ayant un jour tenté l'aventure de la vente massive, se retrouvent subitement à genoux parce qu'elles ont fait un bide sur quelques titres avec un coefficient multiplicateur de dépenses beaucoup plus élevé puisqu'on aura largement arrosé dans le pays, largement payé les gros libraires. Du reste, beaucoup de vraies bonnes affaires viennent de livres qui ont peut-être perdu de l'argent à la vente en librairie, mais dont les droits ont été rachetés par des compagnies de cinéma pour une adaptation.

    Dans la mécanique folle des marchands de livreL'ENFER DE L'IMMOBILIER.-Mais les gros libraires eux-mêmes ne peuvent justifier ces pratiques que pour une raison paradoxale. Il faut qu'ils offrent un volume considérable de propositions d'achats - ici de livres- pour qu'ils représentent une raison tentante de s'y rendre. En une seule surface, on a une variété inouïe de propositions. Mais pour que ça marche, il faut que ce soit en plein enfer immobilier, là où ça coûte le plus cher: en plein centre des villes. D'où des frais exceptionnels - la fermeture des Virgin est éloquente- qui les rendent totalement dépendant de leurs banques. Une petite chute des ventes et c'est le drame. Ce sont des monstres, mais des monstres fragiles. Il existait à Lyon, sur la place principale de la ville, la place Bellecour, deux belles librairies: l'une que l'on appelait Flammarion même si elle n'appartenait plus depuis longtemps à l'éditeur, l'autre était le prolongement de la fameuse librairie Decitre qui tient son nom d'une famille. Les deux qui étaient de vastes surfaces - particulièrement la première- ont disparu. Il ne reste plus de Decitre que son établissement d'origine sur la même place.

    Je cite le ministère français de la culture: "Le nombre total de lieux de vente du livre (librairies, grandes surfaces culturelles, hypermarchés, supermarchés et magasins populaires) se situe en France autour de 20 000 à 25 000. Sur ce total, 15 000 ont une activité véritablement régulière de vente de livres et seuls 3 500 à 4 500 d’entre eux exercent cette activité à titre principal. (...) Si les librairies les plus importantes se trouvaient généralement dans une position plus favorable, la situation est devenue préoccupante à partir de 2009 pour les petites librairies de proximité et a tendance à s'accentuer fortement depuis 2011 pour toutes les librairies. Le poids des réseaux de librairie sur le marché du livre et en particulier celui du réseau des librairies de 2e niveau a en effet connu une érosion régulière depuis le milieu des années 1990, conséquence directe du développement des réseaux de grandes surfaces spécialisées ou alimentaires, puis, dans la période récente, des ventes par internet, qui connaissent depuis plusieurs années des taux de croissance à deux chiffres." Au demeurant, il faut signaler les très mauvaises performances boursières d'Amazon qui tiennent à ce que les investisseurs ne croient pas- probablement sur la base de bonnes informations- à sa volonté vendre tout et n'importe quoi. Or, il faut se demander pourquoi Amazon fait ce pari un peu fou. Est-il si sûr qu'il amortisse son gigantesque système uniquement sur le livre?

    Dans la mécanique folle des marchands de livresDans la mécanique folle des marchands de livresVENDRE? MAIS OU? Par ailleurs, la presse et le livre vivent en commun une tragédie dont le public n'a pas une juste mesure: l'importance des fermetures de point de vente. Le phénomène est massif. Chaque fois que le béton avance la presse recule. Et de même pour la librairie. On a déjà pu comprendre cela en observant, dans les grands points de vente (FNAC), combien les lieux d'exposition du livre passaient dans des étages lointains. Dans mon petit pays, Crest, la FNAC va pourtant ouvrir pour la deuxième fois en France, dans une petite ville. On devine que c'est une expérimentation pour rattraper peut-être des clients.

    Quoi qu'il en soit chacun comprend qu'on ne peut vendre des voitures sans concessionnaire. Eh bien pour livres et journaux c'est pareil. Je note que la Pologne a une intéressante pratique, du moins à Varsovie, de cafés-librairies. Je serais intéressé de savoir s'ils équilibrent mieux. Du reste, je note que la Gazeta Wyborcza, l'équivalent du Monde à Varsovie a un vaste lieu de réception, un café + les locaux de sa radio. Or, il semble que ce soit bien le projet du nouveau patron de Libération de reconsidérer la fonction même du lieu du journal.

    S'ajoute le phénomène majeur de la baisse de la lecture en tant que pratique culturelle. En 2013, les Français ont lu, en moyenne, quinze livres, contre seize en 2011. La "net génération", née après 1980, lit de moins en moins, attirée par d'autres supports et d'autres modes d'expression (vidéo). Et je ne dis rien de l'effondrement de la presse papier qui est massif, international et sans équivalent antérieur.

    Dans la mécanique folle des marchands de livreACCABLANT.- Bien sûr, il y a la posture du marginal. Marginal de l'édition qui est extrêmement difficile compte tenu de l'absolue dépendance des réseaux de libraires, les ventes en ligne directes étant très faibles. Marginal de la librairie, dont il existe quelques heureux exemples, notamment dans mon petit pays drômois. Mais au total on voit bien combien la mécanique ici décrite conduit à des pensées et des écrits stéréotypés et, finalement, à un abaissement lent de l'imaginaire collectif. Il est accablant que les livres de Mme. Trierweiler et de M. Zémour arrivent au niveau de domination du marché que nous voyons. Si tout le monde lit le même genre de livres, on est devant le grignotement de la pensée libre et originale. Le passé ne fut pas toujours tout rose. La recherche du temps perdu de Marcel Proust a été d'abord publiée à compte d'auteur...


  • Commentaires

    1
    Mardi 28 Octobre 2014 à 20:10

    Recu de Marie-Josèphe Moncorgé: Marie Josèphe Moncorgé Un livre n'est qu'une marchandise (finie l'exception culturelle) et l'éditeur est soumis aux mêmes règles que n'importe quel industriel de l'agroalimentaire pour être en tête de gondole. De même les gros éditeurs ne sélectionnent pas leurs écrivains en fonction de leur qualité littéraire ou leur pertinence, mais à cause de leur capacité à vendre un maximum de livres ! Quant aux librairies, elles sont soumises aux mêmes règles commerciales et immobilières que n'importe quel autre commerce.
    Et le client fonctionne maintenant avec les livres comme avec n'importe quel achat : achat sur Internet, parce que c'est plus pratique. Et c'est le consommateur qui achète qui a le dernier mot ! S'il veut encore des librairies, il faut qu'il achète chez le libraire, mais comme c'est si simple d'acheter par Internet, pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple….
    Le monde change. Peut-on toujours dire : c'était mieux avant ?
    Il y a pourtant encore des réticences au changement : le livre papier est encore le must du livre
    http://www.feuilles-automne.com/feuille-Papier-imprime...

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :