• Des paumés dans la dérive millénariste

    Des paumés dans la dérive millénaristeCe qui est saisissant dans les premiers éléments de profils qui nous viennent s'agissant des assassins de Paris, c'est l'absolu recoupement que l'on peut faire avec les auteurs des attentats du 7 janvier et le phénomène stupéfiant de dérive. La matinale de France Culture, à travers l'intervention de Dounia Bouzar (photos), en a fait une remarquable illustration et je voudrais aussi renvoyer à l'admirable portrait qu'Ariane Chemin - sauf erreur- avait fait dans Le Monde d'un des frères Kouachi.

    On a affaire à des paumés de très faible ampleur au départ. On est bien loin du cappo de la mafia. Dans le cas d'un de ceux mis en cause vendredi, il accumule les petites condamnations, suivies d'absence de détention sous le règne du grand justicier Nicolas Sarkozy. Et ces gars en errance cherchent vaguement leur voie sur internet, allant de vidéo en vidéo, passant de certaines insignifiantes à d'autres beaucoup plus toxiques qui développent une conception millénariste des temps que nous vivons.

    Des paumés dans la dérive millénariste"Nous sommes à proximité de la fin du monde. Nos vies ne valent plus rien. Du moins pouvons-nous faire en sorte qu'elles servent à la cause islamique". Tel est le raisonnement développé.  Évidemment, on aimerait savoir jusqu'à quel niveau de la "hiérarchie" - si tant est que ce mot est opportun- on croit à ces délires. En un sens, peu importe. Le fait est qu'ils mettent en branle des jeunes à la fois totalement désorientés et excellents manieurs de kalachnikov, bons organisateurs de petits réseaux. Car enfin, ces horreurs, il faut les faire: trouver des planques, trouver des armes, etc... Ce mélange de folie ou du moins de fanatisme et de rationalité est intriguant.

    Je recommande très particulièrement ce document de la RTBF, contenu du téléphone d'un des terroristes les plus recherchés qui considère qu'il est en Syrie comme un "touriste terroriste". Ce niveau de confusion mentale est alarmant. Même Le Figaro donne ici un portrait de ces jeunes, "issus de classes moyennes, de familles athées et souffrant de dépression" qui lui vient d'un rapport fort intéressant. Comment ne pas songer avec peine à ce père d'un des kamikazes qui, voyant son fils partir en dérapage incontrôlé, a tenté d'aller le chercher en Syrie. En vain.

    Du reste, quant à la dimension religieuse, il faut en mesurer la totale ambiguïté. Le juge Trévidic, ancien patron du pôle anti-terroriste,  a eu l'occasion, tous ces jours derniers, de dire qu'elle ne pesait qu'à hauteur de 10% dans les motivations de ceux qu'il entendait. C'est comme la fameuse "permission de tuer" dans James Bond: il y faut une couverture. Un journaliste britannique qui avait eu l'occasion de s'infiltrer dans Daesh quelques temps avait cette phrase: "Ils ne possèdent même pas le Coran". Ne faisons pas l'honneur à ces assassins de leur attribuer une pensée religieuse. Et puis méfions-nous de nous-mêmes: beaucoup parmi nous aimeraient consciemment ou non que la motivation soit religieuse. Ce serait une manière de donner un nom à un irrationnel.

    Ce qui est très intéressant est qu'on se trouve là devant le très haut mur de la communication avec des fanatiques, que l'on pourrait retrouver devant la discussion à des adhérents du Front National. Il n'y a pas de rationnel à opposer. On sortira toutes les statistiques que l'on veut, toutes les savantes études: ça ne sert à rien. On est devant un élément de foi. Tout ce qui s'y oppose relève du complot. L'immense avantage de la théorie du complot est qu'elle ne peut être récusée puisque c'est un acte de foi. Voir ici. J'ai déjà eu l'occasion de dire ici ce qu'internet pouvait avoir d'ambivalent. On en trouve ici la pleine démonstration. Et c'est cher payé. Mais c'est aussi très cher payer notre incapacité à intégrer de ces jeunes qui deviennent candidats au pire pour les autres et pour eux-mêmes.


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