• La radio des grandes voixLa radio des grandes voixLa mort de Jacques Chancel nous fait, pour quelques instants, revivre des personnages qui étaient des grandes voix, je veux dire des beaux organes. Jacques Chancel avait une voix dans les graves remarquable, idem pour Jacques Paoli  ou Jacques Chapus ce dernier avec une espèce de voix cassée par la cigarette.

    Macha BérangerCette importance de la voix est tellement vrai qu'on en a eu un exemple jusqu'à la caricature avec Albert Simon sur Europe 1, le présentateur de la météo, qui avait une voix totalement brisée mais qui, justement, contribuait par là à l'identification de la chaîne.

    Autre cas limite évidemment:  celui de Macha Béranger: Là aussi une voix de grande fumeuse. On l'entend ci-dessous lors de sa dernière émission. J'ai toujours souri à l'idée qu'elle aît été la maîtresse de Louis de Funès auquel j'ai de la peine à l'associer.

    jacques chapusC'est curieux d'ailleurs: Je vois, à propos de la mort de Joe Cocker, que la presse évoque sa voix rocailleuse ce qui est bien normal: il était chanteur. Mais, on y pense moins s'agissant des présentateurs de radio, probablement parce qu'on intériorise inconsciemment  ce grand facteur d'intimité qu'est le timbre d'une voix. Macha Béranger avait une voix de la nuit, Etiennne Fernagut, son pendant de la Radio Suisse Romande, de même. A midi, ça n'aurait pas marché.

    Ci-dessous, Jacques Chancel avec ce merveilleux écrivain qu'était Romain Gary.

    C'est une période pour moi bénie d'une radio non segmentée, c'est-à-dire totalement grand public. J'ai fait un passage comme correspondant pour la Suisse de RTL. J'ai donc approché Henri Marque et Jacques Chapus ( PHOTO) par exemple dont on a oublié que c'était tous des anciens de France-Soir. Mais pas le journal de caniveau, le grand France-Soir, popu sans honte, que lisait mon père, professeur d'Université. Mon sentiment est que ceci nous dit beaucoup de choses sur une fragmentation de la société. Je pense rigoureusement la même chose s'agissant de la presse écrite, de l'idée longtemps admise et qui a disparu qu'il y avait un rite du matin ou du soir avec le trajet marchand de journaux/ bistrot et petit blanc/cigarette. Ou le soir pastis, mais le journal toujours mêlé à ces rites. Ce temps est mort: nous vivons une époque de claustration et les seules personnes auxquelles on s'intéresse sont sur des écrans.

    Il reste des îlots magnifiques de radiophonie un peu partout dans le monde. Mais la fragmentation est là. La radio des grandes voixFaut pas pleurer si les tensions sont si vives.

     

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  • Le grand mystère de l'île de Diego GarciaIl se trouve que je connais un peu un bout de l'histoire de Diego Garcia - cette île dont on reparle ces jours-ci à propos de la disparition du vol de la Malaysian Airlines-  pour avoir réalisé un reportage à l'île Maurice sur ses habitants qui ont été purement et simplement déportés lorsqu'en 1968 Maurice devint indépendante. Les Britanniques, qui avaient commencé à préparer la population à son indépendance dix ans avant - ce qui est une marque d'intelligence- avaient posé une condition à l'indépendance: l'archipel des Chagos, dont Le grand mystère de l'île de Diego GarciaDiego Garcia n'est qu'une infime partie, resterait britannique, mais en réalité il s'agissait d'une exigence américaine. Ceux-ci voulaient avoir une base - qui n'est pas sans rappeler celle de Guantanamo à Cuba. A cette époque, les Britanniques étaient en négociation pour l'achat - je crois- de sous-marins. Ils cédèrent et évacuèrent manu militari la population de l'ensemble de l'archipel.

    Témoignage de Louis Olivier Bancou, patron du Comité de Soutien aux Chagossiens:

    En sorte qu'aujourd'hui l'archipel est bizarrement sous souveraineté britannique, sous contrôle américain et mollement revendiqué par la République Mauricienne.

    Le grand mystère de l'île de Diego GarciaTOUT LE MONDE S'EN FOUT.- Depuis, les habitants de l'archipel ont tenté de s'adapter à l'île Maurice à laquelle ils sont parfaitement étrangers. Ils ont entamé d'innombrables poursuites devant le Conseil de la Reine - organe juridique suprême du Commonwealth dont Maurice fait encore partie. Ils ont gagné de nombreuses fois, mais mystérieusement pour rien. Ca fait partie de ces innombrables conflits "à bas bruit" qui secouent le monde. Dans la pratique, tout le monde s'en fout. Je me souviens avec émotion des Chagossiens - c'est comme cela qu'on les appelle- rencontrés dans de bien modestes demeures de l'île Maurice. C'était moins leur pauvreté qui était frappante que la vigueur de leur souvenir, l'espoir fou de Le grand mystère de l'île de Diego Garciarentrer chez eux. Leur porte-parole, que j'ai rencontré, était un solide lascar costaud et sympathique, mais dont on sentait aussitôt qu'il ne pèserait rien devant un haut fonctionnaire britannique ou américain.

    Périodiquement, on parle de Diego Garcia sans en savoir beaucoup parce que la base et même l'archipel entier sont totalement inaccessibles. Les Américains sont intraitables là dessus. On peut voir dans une colonne latérale gauche de ce site que l'éventualité se refait jour que Diego Garcia soit impliqué dans la fameuse disparition de l'avion de la Malaysian Airlines. Je n'en sais rien. Des fuites régulières ont fait état d'un centre mondial d'écoutes. Je reprends là des Le grand mystère de l'île de Diego Garciainformations invérifiables par moi. Tout ce que je sais pour l'avoir vérifiéLe grand mystère de l'île de Diego Garcia par moi-même, c'est le malheur d'un tout petit peuple, un peuple misérable et presque insignifiant, stupéfait de son propre malheur car conscient que ce qui lui arrive le dépasse infiniment, au point qu'une bonne partie des autres acteurs eux-mêmes ne maîtrisent pas grand chose.

    Je signale de Chenaz Patel, (PHOTO) bonne journaliste mauricienne devenue écrivain, Le silence des Chagos aux Éditions de l'Olivier (filiale du Seuil) qui ont eu une action assez dynamique pour promouvoir les écrivains Le grand mystère de l'île de Diego Garciamauriciens.


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  • Sébastien Guicharel, sa vie, son oeuvreSébastien Guicharel, sa vie, son oeuvreDans l'hiver 1945-46, alors que la France était en ruines et profondément désorganisée, eurent lieu les championnats de France de Hockey sur glace à Villars de Lans.  Les journalistes, convoqués trop tôt en raison de cette désorganisation, se demandèrent comment passer le temps. Ils convinrent de faire tous le portrait du garde champêtre qui donnait un coup de main à l'organisation. Il s'appelait Sébastien Guicharel. En conséquence, un beau matin, de Quimper à Lille et de Bayonne à Grenoble, il acquit une subite notoriété.

    Mais, une fois les championnats passés, les journalistes locaux pensèrent que la plaisanterie n'avait pas assez duré. Ils décidèrent de l'ajouter à toutes les listes de noms que leurs journaux pourraient être amenés à publier. C'est ainsi que Sébastien Guicharel, dont on n'a nulle preuve qu'il s'en rendit compte, eût la Légion d'Honneur, le Mérite Agricole, le Mérite National, plusieurs fois par an et pendant des décennies. Il passa avec succès son bac dans toutes les sections, autant de fois, du reste, qu'il eût son brevet élémentaire. Il a présenté un nombre de thèses ahurissant. Il a signé des pétitions dans tous sens, y compris contradictoires. Et ceux qui ont la conviction que la presse a une immense influence apprendront avec surprise que nul ne s'est rendu compte de rien, ni les directeurs de journaux, ni les préfets qui remettaient les médailles, ni les recteurs. Ca incite à la modestie.

    Et je remercie ceux qui voudront bien faire circuler ce petit message. Sébastien Guicharel qui a déjà passé deux générations mérite bien de passer à une troisième.


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  • Comment nous avons perdu la mainLe problème de chacun d'entre nous est que nous sommes plongés, dévorés, ensevelis par l'époque. Chaque jour, des nouvelles nous parviennent auxquelles nous donnons une importance totalement disproportionnée et nous aurions besoin,  pour bien nous orienter, pour prendre les bonnes décisions, d'un regard historique sur ce que nous vivons. Par définition, c'est impossible. Il faut que la poussière soit retombée.

    Nous sommes nombreux, je crois, à penser que notre temps dégage plus de poussières que les époques antérieures à cause de la rapidité de circulation de l'information. Mais c'est peut-être faux. Après tout, toutes les époques ont pu penser que la circulation de l'information y était vive, parce que ce qu'on a appelé, dans le passé, "information" et "circulation de l'information" visait peut-être d'autres canaux, la rumeur, les babillages villageois, le prêche du curé etc. Nous trouvons formidable le XIX° où les journaux parisiens arrivaient une fois par semaine en province, mais après tout, il y avait peut-être d'autres "bruits" - que nous appelons informations- et qui empêchaient la tranquillité.

    REMISE EN ORDRE.-Lorsque l'on réfléchit avec sérénité à ce qui nous sépare de l'après-guerre, nous avons un premier temps qui est celui de la remise en ordre de 45 à 62 avec, à partir de 54, le début des guerres de décolonisation qui accélèrent cette remise en ordre. Au sortir de la guerre de 39-45, chacun ne sait plus trop ce qu'il pense, à commencer par les partis dont certains doivent payer des factures de la guerre et tous se situer par rapport d'une part à la question coloniale, d'autre part par la réorganisation des pouvoirs qu'imposera De Gaulle.

    On a un deuxième temps, de 62 à 81, qui est celui de l'adaptation aux moeurs nouvelles, contre-coup du boom démographique, de l'affaiblissement de l'Église et d'une bien plus grande ouverture au monde. La jeunesse a poussé, elle n'accepte plus l'ordre ancien. La société traditionnelle résiste, mais en même temps, notamment sous Giscard, donne de sérieux gages (pilule, avortement).

    Comment nous avons perdu la mainLe troisième temps, de 81 à 95, est totalement identifié à un pouvoir - celui de la gauche- dans la mesure où c'est l'affirmation que la gauche peut arriver au pouvoir, bref que le pouvoir est pour tout le monde. Il ne faut pas oublier que ce n'était pas évident. En même temps, la décrépitude finale, avec les affaires et la cohabitation envoie aussi le signal que la gauche, elle aussi, connaît les perversions du pouvoir. C'est l'annonce qu'il n'y a pas de miracle.

    MONTÉE DES IRRITATIONS.- On est bien en peine de qualifier ce qui se passe de 1995 à 2007 dans la mesure où on est dans l'atonie, mais en même temps la montée du Front National nous dit que les irritations deviennent de plus en plus vives, que certains mal-êtres ou agacements peuvent avoir une conséquence grave. C'est notamment le passage à la droite extrême de toute une partie de la classe ouvrière. C'est aussi l'accélération d'une crise sociale, au sens où le chômage décidément ne veut pas reculer, qu'on a donc des phénomènes de misère qui pointent.

    On voudrait absolument retourner l'économie en notre faveur, "faire repartir la machine", comme on dit, ou "voir le bout du tunnel",  c'est ce que croira faire Sarkozy dans une vision totalement libérale encore que sérieusement aggravée par la crise (d'où un endettement phénoménal). C'est ce qu'essaie de faire Hollande. Ils ont en commun, en dehors de leurs profondes différences de comportements, une volonté de reprendre la main. Or, dès avant Chirac et en tous cas sous Chirac, la maîtrise du destin, la victoire de l'économisme s'accélère. Il n'y a plus que l'économie dans les mots d'ordre. Mais sans effet. Toute la question est de savoir si on peut encore reprendre la main.

    Et nous sommes probablement à l'aube d'une ère où il y aura beaucoup plus d'éthique, peut-être spiritualité, manière de prendre acte qu'on ne peut reprendre la main que sur soi ou dans des petits collectifs. Mais, par rapport à ces choix éventuels, on ne voit pas se dégager les hommes qui intégreraient ces dimensions dans leur discours. Ce qui fait que, très probablement, comme à la fin des années soixante, l'Histoire se fera hors du politique. Ou alors à des échelles très locales où le concept de politique change de sens, perd son aspect partisan.

     


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  • Contre son campCharles de Gaulle a joué un rôle déterminant dans la décolonisation (photo: le discours de Brazzaville). C'est sous son mandat, Pompidou étant Premier ministre, que fut adoptée la loi Neuwirth sur la pilule contraceptive. Il était pourtant conservateur. Valéry Giscard d'Estaing a fait voter une loi concernant la libéralisation de l'avortement, la majorité à 18 ans et le divorce par consentement mutuel. Il était aussi conservateur. François Mitterrand a laissé son premier ministre Laurent Fabius adopter le "tournant de la rigueur" en 83. C'était un virage à droite d'un président de gauche. Malheureusement les exemples - sauf Contre son campomission- s'arrêtent un peu là parce que les mandats de Chirac apparaissent comme une longue sieste. Le rapport Gallois sur la désindustrialisation du pays est, à cet égard, éloquent. Quant à Sarkozy, libéral tendance bazar, il a certes du freiner ses volontés de dérèglementation du fait de la crise. De ce fait il a bel et bien irrité son camp. (Pour mémoire, rappelons qu'il était en 2007 pour le mariage gay...)

    On pourrait rechercher sans peine des exemples à l'étranger. Le plus flagrant est celui de Schroeder, socialiste allemand, qui fait adopter des textes très défavorables au monde du travail, appliquant en 2004, les precriptions de Peter Hartz.

    Et voici donc que Hollande, depuis un an au moins, joue contre son camp à son tour.

    Contre son campCOMPLOT?.- Cette propension à jouer contre son camp pose des questions. S'agit-il, comme l'écrivent les partisans de la version complotiste de l'histoire (qu'on retrouve tant à l'extrême gauche qu'à l'extrême droite), du fait que le vrai pouvoir est ailleurs (dans les banques, dans des cénacles secrets)? Cette clé de lecture a le formidable avantage de marcher à tous les coups. Si tel match a été perdu c'est que de mystérieux personnages se sont agités dans l'ombre, si n'importe quelle loi est votée, c'est la volonté d'une quelconque franc-maçonnerie, etc. Notre monde serait animé par un secret.

    La deuxième explication est que le pouvoir change ou, si l'on préfère, qu'une fois au pouvoir le tableau de la situation se modifie. Le gouvernant a une vision panoramique, alors que jusque là il n'avait qu'une succession de visions ponctuelles. Il proposait des solutions pour chaque situation particulière, mais, pour la vision globale de la société se contentait de pompeux bavardages. De ce point de vue, Hollande est une bonne illustration, mais Sarko l'avait été tout autant.

    La troisième explication est qu'il n'y a pas de pouvoir. Il y a des apparences de pouvoir que les dirigeants s'efforcent de mettre en avant (Sarkozy) et, lorsqu'ils ne le font pas ou mal (Hollande), ils apparaissent pour ce qu'ils sont en fait: nus.

    Contre son campLES MOUSTIQUES.- Cette dernière explication (qui me satisfait avec un zest de la précédente) doit être pondérée par le fait qu'il y a incontestablement des petits pouvoirs locaux. Des moustiques, si l'on veut. Des hommes qui font quelques piqûres, qui poussent modestement de petits aspects du sens général du mouvement. Des élus locaux. Des dirigeants d'entreprises publiques ou privées. Des petits innovateurs à la noix qui bricolent des machins improbables. Ca n'est rien, mais c'est le total qui fait beaucoup. Malheureusement ce total est insaisissable. On ne peut pas le présenter au journal de vingt heures. Serait-il le sens de l'Histoire?

    Et, pour revenir à l'idée de jouer contre son camp, je dois dire que j'ai une certaine admiration pour ceux qui endossent cette responsabilité. Parce qu'ils se confrontent à la meute. Je suis exaspéré par la faiblesse morale qui sous tend le Hollande bashing contemporain. Je ne vois pas de forte vertu derrière la propension à dire "ça serait mieux si on faisait autrement".

    Il est intéressant d'observer que De Gaulle et Giscard ont perdu pour une bonne part pour avoir joué contre leur camp. Du moins ont-ils joué. Sarkozy a certes perdu, mais non point sur sa politique, mais sur sa personne. Il a certes agi contre son camp. Il a exaspéré ses amis par sa manière d'être. On sent bien que Hollande risque un échec personnel majeur, à supposer même qu'il se représente, mais du moins aura-t-il agi.

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  • L'histoire qui fait mal parce qu'il faut la renouvelerL'histoire n'est pas un long fleuve tranquille. Pour les besoins de futures émissions, je suis amené à m'intéresser à l'histoire contemporaine de la Pologne sous l'aspect des rapports entre les juifs et les Polonais. Il se trouve que depuis une petite vingtaine d'années sont sorties des études la plupart bien documentées posant de sérieuses questions sur l'attitude des Polonais vis-à-vis des juifs, notamment dans des massacres dont certains précèdent la guerre, d'autre la suivent (Kielce) et le plus terrible se déroule pendant le conflit (Jedwabne). Lorsque ces émissions seront réalisées je les mettrai en lien ici même.

    Contre son campRACKET.-Mais ce qui me frappe c'est une certaine périodicité dans ce temps des remises en cause. La Pologne s'y met certes avec retard avec l'apparition en 1989 d'un régime démocratique classique. On voit bien pourquoi: le régime communiste avait besoin d'une unanimité de facade. Au demeurant, ça ne l'a pas empêché de chasser ses juifs en mars 1968, épisode peu connu à l'Ouest (Les communistes roumains, eux, faisaient beaucoup mieux: ils rackettaient les juifs en partance pour Israël en fonction de leur niveau d'études...).

    En France, le livre qui ouvre au grand réexamen de l'histoire de la guerre est de l'Américain (!) Robert Paxton en 73, deux ans après la sortie en salle du Chagrin et la Pitié.

    En Suisse, la Commission Bergier pond une succession de rapports concernant la période de la guerre de 97 à 2001.

    En Espagne, en 2008, le juge Balthazar Garcon, entame une procédure (qui fera un flop) sur les "disparus du franquisme", mais les historiens l'avaient nettement précédé.

    Contre son campPONTES.- Je ne peux pas me défendre d'un peu d'amusement quant à la transition générationnelle qu'on voit bien chez les historiens. En gros, chaque génération d'historiens a son récit dominant. Je ne dis pas exclusif, mais dominant. Et comme il se trouve que les historiens ont la même longévité que les chauffeurs de taxis, il faut analyser leur production sur une vie professionnelle moyenne de 35 ans environ. Les dix premières années sont celles de petites publications honorables mais sans plus. Si on est un peu dégourdi dans les dix années suivantes, on fait quelques coups qui vous font passer à la télé et obtenir un bon poste et on finit comme ponte, siégeant dans tous les comités de rédaction des revues savantes à mettre des bâtons dans les roues de la génération qui pousse.L'évolution que je retrace ici n'est de loin pas sans rapport avec ces bascules de générations.

    L'histoire qui fait mal parce qu'il faut la renouvelerDans le cas de la France, on voit bien que s'installe une historiographie critique de la période de la guerre à partir de 1975 en gros: des historiens qui ont 35-40 ans, qui ont fait leurs premières armes et qui peuvent faire des "coups" après la percée de Paxton, opportunément venu d'Outre-Atlantique. En Suisse, c'est un peu plus tardif mais cela s'explique par le fait que la guerre n'est devenue un sujet que par le biais de l'affaire des fonds juifs en déshérence (milieu des années 90)... et là encore sous la pression des Etats-Unis. Il n'en reste pas moins que dès lors toute une jeune génération d'historiens comme Hans Ulrich Jost que son prédécesseur Georges-André Chevallaz traitait de gauchiste avait ouvert la voie dans les années 80.

    Comme en Pologne, l'Espagne n'a pas pu avoir une histoire pleinement libérée avant la disparition du franquisme et l'installation de la démocratie (1975). Ces deux cas faussent un peu mon raisonnement, puisque, sans doute, dans ces deux pays, se trouvaient des historiens qui rongeaient leur frein. Au passage, je note que pour l  a Pologne aussi le rôle des historiens américains ou plutôt polonais vivant aux Etats-Unis comme Thomas Gross à la fin des années 90 sur le massacre de Jedwabne.

    Contre son campCENSURE.- Et dans tous ces cas, on a vu la protestation de la société bousculée dans son récit national traditionnel. Actuellement en Pologne, on devine en arrière fond de cette protestation une poussée d'antisémitisme (avec d'opportunes publications sur la police juive du ghetto de Varsovie en quelque sorte en réponse...). En Suisse, il y eût un comité d'historiens (il est vrai amateurs) pour remettre le récit ancien dans les rails. En France, le Chagrin et la Pitié a été interdit des années durant à la télévision. Il finit par y être diffusé en 1981. Je reprends, avec prudence, à Wikipedia une affirmation selon laquelle ce fut Simone Veil - alors administratrice de l'ORTF- qui s'y opposa ce qui est surprenant. Et cette phrase aussi de la m  ême source attribuée au réalisateur Marcel Ophüls, dans ses mémoires: « Le directeur général de l'ORTF était allé voir le Général à Colombey, pour lui demander ce qu'il devait faire de ce film qui évoquait des vérités désagréables ». De Gaulle lui aurait répondu : « La France n'a pas besoin de vérités ; la France a besoin d'espoir. » « D'une certaine manière, écrit Marcel Ophüls, je trouve cette réponse magnifique et d'une très grande classe. Mais on ne faisait pas le même métier, le Général et moi ». Si non e vero et bene trovatto.

    Contre son campL'histoire qui fait mal parce qu'il faut la renouvelerOPPORTUNISTE.- En Espagne, le juge Garzon, poursuivi en justice a piteusement mal fini sa carrière. Là encore, la droite extrême n'y est pas pour rien. Au passage, en Pologne également (et en Allemagne), les tribunaux ont eu à examiner le livre d'Agata Tuszynska sur Wiera Gran (photo), la partenaire du fameux pianiste (de Roman Polanski, après avoir été celui de Spillman, nom du véritable pianiste qui l'oublia un peu opportunistement dans ses mémoires), à la fois accusée et accusatrice de faits de collaboration dans le ghetto de Varsovie.

    L'histoire change de cap mais c'est souvent dans la douleur.


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  • Le retour du souverainPrenons de la hauteur. Regardons notre époque à partir de mouvements anciens. Ainsi cette attente de chefs qui surgiraient et qui nous sauveraient de nos malheurs. On le voit à propos de Sarkozy. Le phénomène est ancien. L'un d'entre eux est stupéfiant. Il s'agit de ce mouvement mystico-religieux connu sous le nom de sébastianisme qui se forme à partir de 1578 au Portugal et qui dure jusqu'à aujourd'hui.

    Le retour du souverainSÉBASTIEN DU PORTUGAL.-  Le roi Sébastien du Portugal avait bien failli ne pas naître, puisqu'il est né son père étant mort. On crut à un miracle. Dans la vingtaine, il alla porter la guerre dans ce que nous appellerions aujourd'hui le Maroc et mourut dans une bataille restée célèbre et nommée la bataille des Trois Rois (les deux autres, Marocains ceux là, étant aussi morts dans la boucherie qui eut lieu). On prétendit - ce qui était faux- qu'on n'avait jamais retrouvé le corps de Sébastien. Et, à partir de là, se développa une croyance selon laquelle Sébastien était caché et qu' un jour, le roi reviendrait et sauverait le pays de la décadence. Ce thème s'est installé des siècles durant dans les croyances populaires portugaises. Lorsque la Révolution des Oeillets eût lieu, on dit que c'était le retour du roi. Aujourd'hui au Brésil, ancienne colonie portugaise, existent des églises qui annoncent un prochain retour du roi.Lorsque Lula fut élu, on dit que c'était le retour du roi. Le très célèbre écrivain portugais Fernando Pessoa reprit le thème sous l'aspect littéraire dans les années trente.

    Le retour du souverainLE ROI ARTHUR.-Mais cela vaut après tout dans la grande histoire du christianisme: ce que l'on appelle la parousie du Christ, c'est à dire son retour promis, c'est la même chose. Et de même chez les musulmans chiites avec l'imam caché après la bataille de Kerbala. Et de même encore avec le roi Arthur et le tsar Dimitri, ce dernier, de façon stupéfiante étant contemporain à peu près du roi Sébastien.

    Ne croyons pas que nous avons tout inventé. Lorsque des zozos vivent dans l'attente extatique d'un retour de Sarkozy, ils ne font rien de mieux que de suivre une tradition séculaire. J'ai eu l'occasion de m'entretenir longuementr avec le professeur Francisco Bethencourt, du King's College à Londres. J'ai extrait un court passage de cet entretien qui donne à réfléchir (écouter la vidéo ci-dessous). L'intégrale des cinq émissions se trouve ici

    Petite remarque finale. J'entendais Giscard à la télé; il a eu cette phrase: "On ne revient jamais". Il sous-entendait évidemment à ce niveau pouvoir. Je crois que c'est bien vu.


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