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La démocratie dans le coton
La vivacité d'un certain nombre d'échanges dès lors qu'il s'agit d'informations touchant à la proximité m'incite à mettre sur le papier une réflexion ancienne et encore mal aboutie sur elles, mais qui me pèse depuis longtemps.
On peut dire n'importe quoi sur n'importe qui dès lors qu'il est éloigné. L'autre jour un paparazzi a prêté, dans une émission de télévision, une maîtresse au président Obama, ce qui était une pure invention...qu'il a admise quelques jours plus tard. Mais personne n'a rien dit; c'était loin; tout le monde s'en moquait.
Qui imaginerait une seconde qu'on puisse en faire autant localement – et lorsque je dis localement, je ne pense pas qu'à la géographie, je pense aussi à la proximité professionnelle par exemple. Sur le fond, je trouve évidemment cela très bien.
Le problème est que se crée ainsi un décalage entre l'analyse critique au niveau lointain et celle complaisante au niveau local. On a bien vu dans quelques échanges combien était mal pris qu'on ait une position critique vis-à-vis de telle situation locale. L'effet pervers de cette situation est qu'on vit dans un sentiment trompeur d'unanimisme – tout va bien, tout le monde il est beau...- jusqu'au jour où, à la stupeur générale, on constate que le public ne pensait pas cela du tout. C'est notamment mon opinion concernant, ces dernières années, la situation de la commune de Saillans (notamment après la fameuse affaire de la création envisagée d'un supermarché) où il est net que, des mois durant, les élus n'ont pas senti une désapprobation qui montait. Je pense que si l'information avait été plus incisive, ils auraient été amenés à réfléchir. Le résultat, on le connait depuis les municipales.
Naturellement, j'entends bien qu'il soit désagréable d'être critiqué mais je considère qu'aussi loin qu'on reste sur des argumentaires sérieux on doit pouvoir le faire même localement. L'illusion donnée par une atmosphère cotonneuse est dangereuse, surtout dans la période de défiance généralisée que nous connaissons.
Je m'amuse de voir que les statistiques de fréquentation de mon blog révèlent non pas une progression de la fréquentation mais une explosion lorsque j'évoque des sujets locaux. Il y a une demande de ce regard distancié et critique. C'est un reflet de l'état de notre démocratie. On ne rend pas service en le refusant.
N'EN PARLEZ PAS.- Ceci posé j'admet qu'il y a des difficultés. J'ai le souvenir d'une excellente maire de la région qui m'avait reproché d'avoir publié un rapport touchant aux finances communales de la région, non qu'elle en contestât le contenu, mais plutôt parce qu'elle en craignait de fausses interprêtations. Je lui avait fait observer que l'article joint aux chiffres prémunissait contre de fausses interprêtations. Elle l'a admis mais ajouté aussitôt "les gens ne lisent pas les articles, ils regardent les chiffres". Je ne pouvais pas lui donner entièrement tort. Et elle ajouta dans un soupir - ce qui dans l'affaire est l'essentiel- "vous savez, c'est bien assez compliqué comme ça!" Non seulement je le crois mais je le sais. Il y a, dans les fonctions d'élus depuis plusieurs années, un niveaui de complexité atteint qui est assurément impressionnant. Le problème est l'effet induit: involontairement - je souligne le mot- ils deviennent des techniciens. Avec tout ce que cela véhicule de difficultés à une communication large. Et il y a là une difficulté que l'on a alors le choix soit de contourner - c'est la thèse dominante: "n'en parlez pas"- soit de prendre de face.
Souvenir encore une fois: je refuse un jour de publier le compte-rendu d'un conseil municipal non pour embêter le maire mais parce que - retraçant le PLU- il était absolument illisible. J'ai passé de longs moments au téléphone avec ce maire pour donner au texte une tournure lisible.
J'ai un autre souvenir non moins amusé lorsque nous avions publié un rapport de la Cour des Comptes sur la gestion du Parc Naturel Régional du Vercors. J'eus la présidente au téléphone - femme charmante. Et elle fut aussitôt convaincue que je-ne-sais-quel fuite organisée était à l'origine de cette publication, alors qu'il suffisait d'aller sur le site internet de la Chambre Régionale des Comptes.
C'est là la vraie ligne de démarcation entre les deux thèses qui s'affrontent car, contrairement à un procès d'intention qui m'est intenté de façon récurrente, je n'ai aucun mépris à l'encontre du monde des élus, tout au contraire souvent beaucoup d'empathie, je déteste le populisme, simplement je ne contourne pas les difficultés.
Et là se pose un immense problème de pédagogie vis-à-vis de l'ensemble de la population, affreusement chronophage. De ce point de vue, l'expérience saillansonne va être intéressante. On me dit que les différentes commissions ouvertes à la population sont pleines de monde. C'est excellent. Il faut voir combien de temps ça durera et surtout la compréhension des problèmes que cela diffusera dans la population.
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