• Le récit qui peut tuer

    Le récit qui peut tuerNos vies sont de petits récits dans un grand récit. J'emploie à dessein le mot de récit, en ce qu'il peut comporter de part de fiction. Nous savons bien, dans l'examen de nos propres vies, combien nous pouvons les réécrire, le temps passant. Parce que nous relativisons certains épisodes. Parce que, avec le recul, nous comprenons mieux des causes qui, sur le coup, nous avaient échappées.

    Le récit qui peut tuerIl en va de même pour la Grande Histoire. Pendant deux décennies après la deuxième guerre mondiale, par exemple, le récit convenu – le roman si l'on veut- fut que la France avait été grande résistante. Puis, on est largement revenu sur ce récit. Et pendant trente ans au moins, un nouveau récit plus critique s'est imposé. Tout récemment, quelques livres ont réévalué les “petites résistances”. Je pense au livre de Jacques Sémelin, par exemple: Persécutions et entraides dans la France occupée. Mais il n'est pas seul.Je pense aussi à Nelcya Delanoé: "D'une petite rafle provençale"

    Bref, il n'y a pas d'Histoire, mais des histoires, un mouvement historique, des récits, on pourrait même ajouter pour mieux souligner leur fragilité: de "belles histoires".On voit bien ce que la formule suggère de "trop belles histoires".

    Contre son campL'INVENTION DE DIEU.- Et une partie de la question est évidemment de savoir ce que vivent les auteurs lorsqu'ils rédigent leurs récits, quel est, en somme, pour eux mêmes, le récit dominant dans lequel ils baignent et qui influence leur plume. C'est un des intérêts majeurs de tous les travaux concernant, par exemple, les circonstances de l'écriture de la Bible, particulièrement de l'Ancien Testament – la Torah, dès lors que ce texte est, aujourd'hui encore, le fondement d'un certain nombre de décisions. Je pense notamment bien sûr à la situation dans la Palestine biblique, l'actuel Israël. De ce point de vue, le texte de Thomas Römer (photo) “L'invention de Dieu” est remarquable, comme du reste, tous ses autres livres sur le sujet. Il se situe dans un courant d'interprétation qui veut qu' au moment où les juifs sont en exil à Babylone, un certain nombre de clercs vont réécrire toute l'histoire du peuple hébreu pour expliquer pourquoi on en est arrivé là. Et c'est ainsi que tout revers des juifs sera toujours expliqué, y compris, bien sûr, dans les siècles antérieurs, par le fait qu'ils auraient désobéi à Dieu. C'est une hypothèse; elle est passionnante; mais surtout elle montre que les grands mythes sont des constructions.

    Contre son campJEU SAUVAGE.- On a beaucoup dit à juste raison que nous étions dans une époque où les grands récits avaient disparu: le communisme est mort, la gloire d'un Occident de liberté tout autant. Nous sommes, c'est vrai, en panne de récit. Le capitalisme n'est pas un récit. Il ne nous raconte rien. Il est simplement un jeu sauvage de forces où les plus forts gagnent, mais, ceci observé, il y avait aussi des plus forts en régime communiste. Ce fut même tout le problème.Faire le constat du "jeu sauvage de forces" n'est pas constituer un récit. Il est trop brouillon. Il part dans tous les sens. Il n'y a rien de clair qui se dessine. Dans un récit, il y a une intention, pas dans le capitalisme, parce que le vainqueur d'un jour - le riche- est le perdant du lendemain. En réalité, les défenseurs du capitalisme ont renoncé à l'idée d'un destin.Dieu pour eux est une commodité. Il est ailleurs. On verra plus tard.

    Mais,il faut faire attention. Un récit est une violence souvent. Lorsque le récit fut celui d'Hitler – et l'on sait aujourd'hui combien il fut construit avec un soin dans les détails- ceux qui refusaient le récit, ceux qui n'y croyaient pas, au sens de la foi, furent exterminés. Mais, ce fut vrai avant cela à l'époque de l'Église catholique triomphante (voir l'Inquisition). C'est vrai en terre d'Islam. Il y a là comme un paradoxe dans le fait que, par nature, un récit est fluctuant, il use de “trucs”, et en même temps, il peut être d'une extraordinaire violence.


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