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L'affaire de l'éclair au café
Je ne sais pas vous mais moi si. Un éclair au café et je craque. C'est irrationnel. Paraît que la faculté a publié des linéaires de volumes sévères qui disent que c'est la cata. M'en fous, je m'empiffre. Le désir quoi.
La bagnole, faut pas mentir, des fois, il y a du désir. J'ai un jour trouvé une vieille Jaguar d'occasion. Je l'ai achetée. J'ai roulé deux ans avec. Je la pleure encore. Et j'emmerde ceux qui me diront que c'était politiquement incorrect. M'en fous. J'avais du désir.
J'adore les noeuds papillons. Les vrais, ceux qu'on fait soi-même. J'en achète que je ne porte presque jamais parce que j'ai honte. Notre époque a imposé un déglingue convenu dans l'habillement. Elle est aussi déstructurée sur le plan de la pensée que sur le plan du vêtement. Et comme je suis faible, je cède.
PICODON.-Sur le plan politique, je n'ai aucun désir. Des fois, je me suis dit: “Un beau matin, un élu local que tu connais bien, te dit: Hollande vient demain, il a une heure de battement dans son emploi du temps. Je peux m'arranger pour qu'il prenne le café chez toi.” Qu'est-ce que je ferais? Oui bien sûr, j'accepterais, oui bien sûr, je serais très honoré. Mais, je n'en ai aucune envie, aucun désir. Je n'ai rien à lui dire, sans doute, qu'il n'ait cent fois entendu. Alors je lui parlerais du Picodon, peut-être. Mais, fondamentalement, je m'en fous. Sarko, je refuserais. Pas par hostilité politique -j'accepterais Juppé, Baroin ou NKM- mais parce que je ne sens pas chez lui le respect élémentaire que l'on doit à chacun. Je refuserais Mélenchon. Je déteste les individus qui sont dans la posture. Méluche, c'est ça. Je serais très intéressé de rencontrer (à nouveau) Daniel Cohn Bendit. En raison de sa culture qui écrase celle de tous les précédents. La première fois où je l'ai rencontré, c'était à la Radio Suisse Romande. Une de mes consoeurs, spécialisée dans des interviews absolument pas politiques, vient me voir vingt minutes avant son entrée en studio et me dit “toi qui y connais quelque chose, dis moi ce que je peux lui demander sur son livre Que faire? qui vient de sortir”. Ayant à peine écouté la question, je lui réponds, franchement distrait: “Tiens. Que faire? Mais c'est de Lénine en 1902.” Lorsqu'il arrive, on discute sympathiquement et j'assiste de loin à l'interview où ma consoeur, habile, file tout du long la comparaison avec Lénine, sur les périodes d'alors et d'aujourd'hui. DCB, qui est un type plein d'esprit, était très amusé et ce fut une excellente émission. Oui, j'aurais le désir de le rencontrer.
J'ai aussi le souvenir d'une bonne heure avec Rocard. Là, pardon. On était dans de la culture. C'était du dur. Ceci dit, j'étais avec une copine. On l'a interviewé pendant une heure sur des questions qui touchaient aux rapports entre politique et religion. On n'oserait avec aucun contemporain. S'il y a un sujet dont ils ignorent tout - je parle de penser, d'avoir une vraie connaissance, pas de faire des phrases- c'est bien celui-là. A notre sortie, nous nous sommes regardés. On n'avait rien compris. Parce que Rocard, c'est un champion olympique pour faire des incises dans les incises dans les incises. On a réécouté la bande magnétique. On n'a toujours rien compris.
Il y a de nombreuses personnes que j'adorerais rencontrer ou re- rencontrer: Dominique Charpin, sur la civilisation mésopotamienne, dans son immense bureau envahi de livres de la rue de Rennes, Jean Delumeau – on ne peut pas savoir le bonheur que c'est d'interviewer Jean Delumeau sur l'histoire médiévale. J'ai le souvenir d'un moment merveilleux avec ce personnage affable et d'une érudition toute accessible, dans un bureau immensément bordélique du Collège de France qu'on était en train de déménager. J'ajoute Thomas Rohmer, sur l'histoire biblique. Lorsqu'on a rencontré ceux-là et qu'on voit des jeunes connards se battre pour interviewer des nanas siliconées, on a envie d'ouvrir la fenêtre et de sauter.
Mais Valls non, Moscovici, non, Morano, non, Ciotti, non. Peut-être Macron parce que je déteste le hurlement des meutes. Il y a bien quelques femmes superbes. Mais non. Même pour le plaisir des yeux, non. La culture a déserté le monde politique et quand bien même ils me paieraient à bouffer que ce serait non. Et puis ce milieu, du moins pour ses éléments les plus ordinaires, a la maladie du mépris. Il l'apprend tôt. Beaucoup trop tôt. Il faut qu'on me retienne pour que je ne cite des noms. Y compris localement. Il m'arrive même de me demander si certains ne se lancent pas pour mépriser. Ceci dit, je ne leur en veux pas absolument. Je ne pense pas qu'un esprit ordinaire puisse résister au choc de vivre dans les ors de la république. J'avais une relation qui est devenue ministre. Elle m'a un jour reçu dans son bureau. La taille d'un bowling au point que sa table paraissait comique. Une ouverture sur un immense jardin. Je passe sur les huissiers, les bagnoles, les gardes républicains. Je me souviens très bien m'être demandé, en sortant, combien de temps j'aurais résisté avant de devenir moi-même fou. Ma relation, elle, l'est devenue.
P.S.-Je me fous des diplômes de M. Cambadelis. Je me fous d'un footballeur qui a été exclu d'un machin dont je ne savais même pas que ça existait. Je me fous de la manière dont le président fait caca. Je veux que nos gamins aient un job. C'est du français, ça, non?
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