• Quelques âneries qu'il vaudrait mieux éviter sur l'islam

    On entend, ces jours-ci, une collection d'âneries - certaines excusables, d'autres non- concernant l'islam qui sont les sous-produits de la conception française de la laïcité. Elle induit, hélas, une méconnaissance grave du fait religieux.

    Première idée: il faut contrôler les imams (sous-entendu pour éliminer ou renvoyer chez eux les plus toxiques). C'est une vision totalement catholique du problème, celle au fond que Monsieur le curé a beaucoup d'influence. Oui mais un imam n'est pas Monsieur le Curé. Il n'a pas d'autorité hiérarchique, tout particulièrement pas en milieu sunnite où il n'y a pas de clergé (c'est faux en milieu chiite mais, là, j'ai conscience de virer dans le subtil). Il est certes vrai qu'un imam peut avoir un rayonnement, mais il l'est tout autant que certains imams se font virer de leurs communautés, comme c'est arrivé, il y a quelques années, dans mon petit coin. Les protestants comprennent très bien cela parce que le pasteur est dans la même situation vis-à-vis de sa paroisse que l'imam parmi les siens. Des situations de pasteurs renvoyés par leur conseil presbytéral, ça existe. Il est assez piquant que l'argument qui tend à incendier les imams est généralement prononcé par des ultra-laïcs qui tiennent là un raisonnement à 100% catholique. Le problème auquel nous faisons face est parfois un problème d'imams, mais il est beaucoup plus généralement le problème de personnalités sans le moindre rang officiel qui prennent un ascendant du fait de leur charisme. Les frères Kouachi s'étaient laissés endoctriner par un type qui n'était aucunement imam. C'est ainsi beaucoup plus complexe.

    Deuxième idée: les prêches devraient être en français. Bien sûr et dans l'intérêt même des fidèles. Il s'agit pourtant d'une vision totalement chrétienne du problème. De la même manière que l'hébreu est la langue du judaïsme, l'arabe est la langue de l'islam car ces deux religions se voyaient comme celles de peuples particuliers. Elles sont fondées sur cette idée centrale. Le christianisme s'est toujours vu comme une religion mondiale (d'où son nom- catholicos voulant dire universel), utilisant donc successivement les deux langues de ce qui fut "le monde entier" pendant longtemps: d'abord le grec (les premières bibles), puis le latin. Donc demander aux musulmans des prêches en français, ça n'est pas un simple problème technique, c'est un élément central de leur foi. C'est aussi intelligent que de demander au Vatican de renier le dogme de l'Immaculée Conception. On a le droit de trouver que c'est idiot, mais c'est le pilier même d'une croyance. Question accessoire: combien d'officier des ex-renseignements généraux, chargés en principe de la surveillance des lieux confessionnels, parlent arabe?

    Chaque fois que de brillants politiciens demandent des prêches en français, ils font une gaffe du type de celle que je viens de dire et font étalage de leur ignorance. C'est à peu près comme si on demandait pourquoi les curés ne sont pas mariés. Moyennant quoi le croyant de base s'estime justement incompris. Si l'on veut avoir de l'influence sur lui, il faut s'y prendre autrement. Je me permets de faire observer que nous venons d'avoir, à l'occasion du synode vatican sur la famille, la démonstration qu'en milieu catholique, on pouvait bien avoir des pressions multiples de la société civile sur la condition des homosexuels, le synode n'en a tenu aucun compte. Pas mieux que l'univers musulman. Alors les donneurs de leçons...

    Ah oui, mais c'est dans le Coran. C'est une des nombreuses phrases passe-partout qu'on ne cesse d'entendre sur le mode: "moi, je sais". Elle est ridicule et consternante. On m'excusera d'abord de renvoyer ici aux cinq jours d'entretien que vient de diffuser la Radio Suisse Romande et que j'ai eus avec l'un des meilleurs spécialistes francophones du Coran, François Déroche, professeur au Collège de France. Ensuite, soyons très clair: Le Coran est un texte extrêmement complexe, connu vraiment de bien peu, dont il est certain que l'immense masse des musulmans ne connaît que des bribes, tout comme l'immense masse des chrétiens ne connait que de rarissimes textes de la Bible. Que tel ou tel passage soit pour de bon ou non dans le Coran ne démontre à peu près rien. Signalons que le Coran comporte, en son sein, des injonctions qui en abolissent d'autres. L'exemple le plus célèbre est relatif à la consommation de vin, encouragée ici, interdite là. Autant dire que c'est un vrai jeu de piste. Ajoutons qu'il faut une insigne mauvaise foi pour ne pas prendre ce texte pour ce qu'il est, c'est-à-dire un texte des VII°-VIII° siècles qui, comme tous les autres de ces hautes époques, est totalement inaccessible à des personnes sans formation préalable.

    Il est certes vrai qu'un certain nombre d'intellectuels du monde musulman comprennent fort bien la nécessité d'un dépoussiérage de leurs dogmes. Ils font des propositions que nous sommes incapables d'évaluer car seule compte la réception qui en est faite par leurs coreligionnaires. Imaginons une seconde comment nous recevrions les encouragements de bouddhistes à revoir l'idée de l'existence de Jésus. On les enverrait paître! C'est exactement ce à quoi nous nous exposons. Seuls les musulmans réformeront l'islam.  Il est sûr aussi que si le niveau culturel moyen des Français en matière de connaissance de toutes les religions, donc de l'islam, était sensiblement supérieur (ce qu'il est dans bien des pays d'Europe parfaitement laïcs), les discussions seraient moins truffées de sottises offensantes, dévalorisantes. Et alors, on pourrait commencer à obtenir un minimum d'écoute. La suffisance satisfaite avec laquelle beaucoup étalent l'immensité de leurs lacunes parce que eux, n'est-ce pas, considèrent que la religion étant du domaine privé, on n'a pas à en parler publiquement, est affligeante.

    Il est bien certain que lorsqu'on a affaire à des jeunes gens qui sont déjà des déclassés sociaux, le plus souvent en situation d'échec scolaire et qui ont le sentiment que la seule chose qui leur est absolument propre- leur religion- est regardée avec condescendance par ceux avec qui ils en parlent, ça n'arrange rien.


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