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Verrouiller l'info? Essayez donc!
Quelle journée: où l'on apprend que le document faisant état d'un financement lybien de la campagne de Sarkozy était authentique, où Claude Guéant est condamné à de la prison avec sursis pour l'affaire des primes du ministère de l'intérieur et... surtout, où l'on apprend que la fameuse ONG américaine qui a levé le scandale Volkswagen était informée par des fonctionnaires européens.
Comme quoi tout finit toujours par se savoir mais l'ultra-court terme étant l'horizon habituel des politiques, ils ne parviennent pas à l'intégrer, surtout ils s'imaginent que ces lointaines révélations n'auront jamais lieu chez eux. Je vis dans un petit pays où, depuis des mois, des élus essaient de faire silence sur le coût d'un centre nautique qui s'annonce très élevé. Il s'est passé ce qui devait se passer: un beau jour, le journal local, Le Crestois, a trouvé une source discrète qui a lâché le morceau. Et n'ayant rien compris à rien, se comportant comme si les enseignements de ce qui se passait ailleurs ne les concernaient pas, ces élus se sont indignés et sont tombés à bras raccourcis sur une malheureuse opposition qui n'y est pour rien, sans parler bien sûr du journal "qui a trahi".
C'est drôle comme des gens qui sont plutôt intelligents - encore que parfois on finisse par douter- puissent à la fois avoir des jugements tout-à-fait raisonnables sur ce qui se passe dans le vaste monde et devenir d'une cécité navrante sur leur propre action. C'est extrêmement instructif sur le fonctionnement de la démocratie.
Il y a une règle simple dont il faut prendre acte: les affaires finissent par sortir. Certes, pas toutes. Certes, ça peut prendre du temps: on le voit avec l'affaire de Karachi. J'ai un souvenir d'un entretien avec Jean-François Julliard, à l'époque au Canard Enchaîné, qui me disait: "la plupart de nos informateurs ne sont pas des opposants, mais des gens au contraire proches de la décision mais qui la trouvent particulièrement injuste, en particulier au nom de leurs idées qu'ils ne veulent pas voir caricaturées". L'idée idiote selon laquelle, parce que l'on est élu, on va tout contrôler est une idée de vieux. Ca ne marche plus comme cela. Je le vois avec amusement, toujours dans la Drôme où le Conseil Départemental a basculé à droite et voudrait tout contrôler, mais où les fuites sortent à jet continu.
Les citoyens ne comprennent plus que l'on veuille contrôler l'information. Il y a un formidable effet de mimétisme, dans un univers qu'internet a rendu beaucoup plus fluide, qui fait que le public qui voit qu'on peut embêter Mme. Clinton pour ses mails en attendra donc autant pour l'adjoint au maire de St. Hilaire Cusson-la-Valmitte (ça existe). Nous sommes, en effet, dans un monde où des centaines de millions de personnes ont entendu parler de vastes affaires de fuites: Watergate, Wikileaks, Vatileaks... L'impact psychologique de la seule existence de Médiapart, même pour des gens qui ne l'ont jamais lu, est considérable. L'instantanéité du courrier électronique qui permet de faire fuiter en une seconde un document est manifestement aussi un encouragement. Comment peut-on croire que ces mêmes personnes accepteraient que, tout au contraire, dans leur proximité, on verrouille tout? J'ai le souvenir d'un élu d'une commune drômoise qui, ayant appris qu'un administré avait saisi la justice administrative, avait sottement déclaré: "c'est anti-démocratique". L'élection, en cette matière, ne fait naître aucun droit et, tout au contraire, des risques. Je veux même bien admettre qu'il puisse se trouver des situations où cet état de choses soit injuste pour des élus. Mais on vit dans son temps et il faut faire avec.
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