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ATTAQUE EN RÈGLE CONTRE LES RADIOS-TÉLÉS PUBLIQUES
Naturellement, la naïveté a quelque chose de rafraîchissant. Jusqu'au moment où elle devient de la sottise. Ainsi par exemple, le service public suisse de radio télévision est l'objet d'une charge majeure tout particulièrement de la part des éditeurs privés qui le considèrent comme un monstre. Prenons le temps d'y regarder à deux fois.
Quelques remarques liminaires: l'affaire n'est aucunement spécifique à la Suisse. La BBC est l'objet des mêmes attaques et réalise ce que l'on attend de la SSR, à savoir réduire sa voilure. Et en France - quel hasard!- on vient de nommer à la tête de France Télévision une femme qui a la culture managériale d'Orange. Autant dire que tout ça va dans le même sens.
Je dirai plus loin en quoi je peux être d'accord. Mais il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. La coïncidence de ces offensives à travers l'Europe est vaguement suspecte. Il se trouve qu'existent de grands groupes de presse internationaux privés dont l'intérêt manifeste est l'affaiblissement du service public. On peine à les peindre en victimes. Il est un peu affligeant de voir quelques braves journalistes un peu mous du bulbe ne pas voir de quoi ils se rendent complices sous couvert de vanter la concurrence. Donc, disons les choses avec netteté: il y a une offensive concertée des grands groupes de presse pour obtenir un recul du service public.
Il y a des arguments qui sont pertinents. Il est vrai que les grands services publics de radio-télévision sont devenus de très grosses affaires. Mais on ne peut pas en induire ce qu'on voudrait nous faire croire. Il est mensonger de soutenir que ça a empêché le développement de réseaux privés. En France, RTL et Europe 1 sont parmi les majors du monde de la radio et ils l'ont obtenu par leur savoir-faire et non par le moindre avantage légal. En Grande-Bretagne, le réseau de télévision privé ITV est très bien implanté et propose un service apprécié. En Italie, où le très médiocre service public est ancien, les télévisions de M Berlusconi ont enlevé le marché en quelques années. La loi n'y était pour rien. Il y a quelque chose d'un peu consternant à voir de prétendus partisans de la concurrence implorer une mesure législative ou statutaire pour leur donner accès à une plus grosse part du gâteau. S'ils croyaient à ce qu'ils disent, ils feraient la démonstration de leur excellence. Une fois encore, en France et en Grande-Bretagne, c'est ce qui s'est passé.
Pourquoi les grands services publics sont-ils si gros? Mais pour une raison toute simple! Des décennies durant, le privé n'a pas voulu s'intéresser à cette activité. Il n'a fait que tardivement pression pour obtenir les autorisations nécessaires. Pendant ce temps-là, le service public s'est développé et, chose incroyable, il avait en son sein des personnes dignes d'intérêt. Le secteur privé a, désormais, la possibilité d'agir depuis un certain nombre d'années, mais il ne perce pas et il demande donc la protection d'un nouveau cadre légal. Franchement, ça n'est pas héroïque. On serait tenté d'ironiser.
Les incertitudes liées à l'économie du net ont aggravé la situation. Parce que c'est facile à faire (la preuve: j'ai un blog) l'illusion traîne que cela pourrait rapporter gros facilement.Jusqu'ici, à l'exception de monstres mondiaux comme Google qui ont enlevé la place avec des méthodes très limites, ce pactole n'arrive pas. Désolé, c'est ainsi: il ne suffit pas de répéter des mensonges pour qu'ils deviennent la vérité. Seules quelques rares exceptions font fantasmer. Alors, on se dit qu'en limitant les services publics en la matière, on pourra engranger de copieux bénéfices. Bien que ce soit, selon moi, une projection audacieuse (les grands médias privés américains sont en pleine débâcle boursière), cédons là-dessus, sauf pour les annonces de programmes et les possibilités de podcast. Après tout laissons, en effet, ces dynamiques entrepreneurs faire la preuve de leur créativité.
Je n'ai aucune réserve de principe sur le fait que les médias soient privés. Il n'y a, en effet, aucune corrélation obligatoire entre la qualité que l'on est en droit d'exiger et l'origine de l'initiative. Émile de Girardin, entrepreneur privé, a inventé la presse moderne. Pierre Lazareff et son épouse Hélène Gordon ont créé avec des capitaux privés des titres majeurs de l'histoire de la presse (France-Soir et Elle). Europe 1 a incontestablement révolutionné la radio. C'était une entreprise privée. Mais la BBC, Arte, France-Culture, France-Inter sont d'assez beaux navires amiraux du secteur public. Et finalement seuls comptent les hommes. Je note du reste une forte propension de ceux qui ont du talent à passer de l'un à l'autre. Cela devrait inspirer plus de modestie à ceux qui nous disent que tout cela est affaire de loi et de statut. La question est bien plutôt: comment faire venir et conserver les meilleurs? Si quelqu'un est capable de démontrer que tel ou tel mode de gestion est plus performant en cette matière, qu'il parle.
Et puis, il faut trouver la force de prendre de la hauteur par rapport à des polémiques très médiocres. Qu'on le veuille ou non, à l'échelle du monde,les grands services publics de médias sont, dans le regard des autres, l'image du pays. L'exemple le plus frappant est la BBC dont il est peu douteux qu'elle contribue par la solidité de ses programmes à la réputation du pays. La BBC est la Grande-Bretagne. Il se trouve qu'en Suisse c'est aussi le cas par la sédimentation, des décennies durant, de la qualité professionnelle d'un certain nombre de personnes. A contrario, nul ne peut nier que l'image un peu ohé ohé de nos voisins italiens tient pour partie à la médiocrité de leur radio-télévision, il est vrai très dominée (oh pardon) par le secteur privé.
D'accord, il y a des marchés à prendre. Mais il y a l'image d'une nation. Il faut y réfléchir à deux fois
Tags : médias, radio, tv
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