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La dynastie des Lapra
Je poursuis ici la republication de portraits de gens que j'ai aimés, portraits qui ont été publiés dans Le Crestois, dans les années passées. En l'espèce, il s'agit ici du dernier des Lapra, de cette formidable dynastie de quincaillers, de Crest. Leur magnifique demeure probablement renaissance reste à ma connaissance à vendre au centre de la vieille ville. Et la nostalgie est toujours là de cette véritable antre où l'on trouvait de tout est entière. Cet article a été publié en septembre 2012.
"Aujourd'hui, François Lapra et son épouse vivent à Portes les Valence et nous sommes tristes. Parce que cinquante ans ans durant, à Crest, aller chez les Lapra c'était aussi compréhensible pour chaque Crestois qu'aller à la mairie ou à l'hôpital. Les Lapra tenaient la quincaillerie centrale de Crest, dans la rue de l'Hôtel de Ville, incroyable grotte où l'on trouvait absolument de tout, où les objets se serraient sur les étagères. Lorsqu'il n'y avait plus de place, François Lapra stockait dans les étages. « Et il arrivait trop souvent, dit-il aujourd'hui en souriant, que lorsque je venais de monter chercher un objet dans les étages, le client me dise, une fois que j'étais redescendu « Ah, j'avais oublié de vous dire qu'il me fallait aussi... », et, hop!, il fallait que je remonte les escaliers. »
L'histoire des Lapra et de leur magasin est une histoire invraisemblable. En effet, le magasin aujourd'hui tristement fermé, ouvre en vérité en 1860 avec un premier quincailler. On en a hélas perdu le nom, mais pas forcément la photo, en effet, les Lapra possèdent une photo – celle que nous publions- d'un quincailler devant la fameuse devanture et qui est peut être la personne en question à moins que ce ne soit un des successeurs MM. Brus et Roussin. C'est en tous cas à M. Roussin que Jacques Lapra, le père de François, reprend l'affaire en 1956. Et l'amusant de l'affaire est que Jacques Lapra lui-même était d'une famille de quincailler en gros à Feurs dans la Loire depuis plusieurs générations. En sorte qu'il n'est pas interdit de penser que lorsque, pour la première fois dans cet emplacement du centre ville de Crest, s'ouvrit une quincaillerie, quelque part dans la Loire, pour la première fois, un Lapra se lançait dans le métier dans la Loire. En gros, les périodes coïncident.
Chez Lapra, il y avait tout: de l'outillage, de la boulonnerie, du verre découpé à la demande, de la ferraille, des fers à chevaux, des pointes, du matériel électro-ménager, des cuisinières à charbon, des tuyaux de poêles dont Francois Lapra, fermant les yeux, se remémore les 15 dimensions disponibles. Et ce n'est qu'un petit échantillon de cet caverne d'Ali Baba qui, pourtant, ne faisait que 110 m2. Le magasin était le Vatican du boulon et François Lapra en était le pape.
Un pape bonhomme, du reste qui, lorsqu'il vendait une serrure disait à son client: « Allez l'essayer chez vous et si ça ne va pas vous me la ramènerez. » Ou bien qui, ayant reçu une commande transmise par le chauffeur du car allait lui porter le colis à mener dans les villages éloignés avant qu'il ne parte. « Place des Moulins c'était pour les cars en direction de Saillans et de Die, sur les quais pour le car vers Bourdeaux. » Mais le gros des ventes, bien sûr, se faisait le samedi lorsque les clients descendaient de leurs villages. Mme. Lapra, qui secondait son mari, se prend le visage dans les mains: « C'était l'horreur, il y avait un monde fou. Il ne fallait pas attendre cinq minutes après 8h . pour ouvrir. » Et la journée continuait jusqu'à 19h. Il n'y avait pas de petits clients, on pesait vis et clous parfois pour des quantités dérisoires. Tout se vendait à l'unité, à l'inverse des pratiques actuelles de la grande distribution.
Au début, le magasin n'était fermé que le dimanche. Leurs filles grandissant, François Lapra est allé les conduire à l'école le lundi matin, son épouse ayant longtemps exercé une profession médicale avant de le rejoindre définitivement derrière le comptoir. Mais, pas de fermeture l'été. « C'était un temps, disent-ils, unanimes, où la vitalité du commerce crestois était formidable. » « Moi qui venais de Portes les Valence, dit Mme Lapra, je n'en revenais pas. » Il était alors encore possible de se faire livrer commodément dans la rue. « C'est vrai, poursuit Mme. Lapra, qu'il y avait de terribles embouteillages. La rue était bombée donc les camions de livraison penchaient dangereusement. Les commerçants sortaient regarder les manoeuvres en tremblant pour leurs enseignes. Mais la fermeture à la circulation a incontestablement affecté l'activité. » C'était le temps où il y avait dix sept épiceries à Crest qui, toutes, s'en sortaient et animaient notablement la ville. « L'union commerciale marchait à fond », se souvient François Lapra. « Un des problèmes est qu'il y a eu une génération de commerçants qui sont tous arrivés à peu près au même moment à la retraite. Et ils n'ont pas trouvé successeur. D'où l'impression qu'on a aujourd'hui de très nombreux magasins fermés. »"EN PUBLIANT CE TEXTE, J'OFFRE GRATUITEMENT UN ÉLÉMENT DES ARCHIVES DU CRESTOIS. MAINTENONS DANS NOTRE RÉGION UN JOURNAL INDÉPENDANT QUI NOUS SOUTIENT.
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