-
La grande crise du "modèle" allemand
Il faut absolument lire le dernier numéro de la remarquable revue Books. Il fait de la situation allemande actuelle un portrait terrifiant: sous-investissement massif de la puissance publique qui aboutit à des situations ahurissantes. Les routes sont devenues si mauvaises que les camions qui devraient gagner le port de Hambourg préfèrent aller à celui d'Anvers, écoles en mauvais états, canaux - pourtant essentiels pour le transfert du frêt- avec des écluses effondrées, ponts dont pas moins de 10 000 devraient être refaits. Ajoutez à cela deux données qui battent en brèche des idées acquises: la productivité d'une population n'est pas terrible parce que le système de formation ne donne pas les résultats escomptés (si l'apprentissage marche, les universités sont mal classées) et une concentration de la performance sur l'automobile qui masque d'autres situations beaucoup moins brillantes. Par exemple, les patrons allemands, considérant l'état de leur pays, préfèrent de loin aller investir à l'étranger. Ceci sans rien dire d'une donnée désormais bien connue: le vieillissement de la population allemande qui ne peut que la contraindre à encourager une immigration massive beaucoup plus de l'Est que du Sud, du reste.
POPULATION SACRIFIÉE.-Tout cela ressort d'une série de livres publiés en Allemagne, par des auteurs allemands, et parfois par des patrons. Le magazine a eu la bonne idée de demander un plaidoyer en faveur de l'Allemagne au démographe Emmanuel Todd. Son argument tient en cette formule: "mollo mollo, n'exagérons rien. L'Allemagne a de beaux restes." Il ajoute l'idée que au fond, par sa sphère d'influence, l'Allemagne aujourd'hui va jusqu'à l'Ukraine. Mais surtout, il développe une idée qui justifie que je fasse ce post parce qu'elle nous interroge, nous, Français. Pour lui, un consensus a existé en Allemagne de tout temps au profit d'une Allemagne-puissance qui s'imposerait en Europe fut-ce au détriment des bonheurs individuels. Une Allemagne de la population sacrifiée au profit d'un collectif glorifié. Alors que dans l'Europe du Sud (nous compris, bien sûr), on privilégie l'idée du bonheur individuel.
Cette thèse très pertinente pose de plein fouet la question des consensus que l'on peut trouver dans une nation. Il est assez probable qu'une des caractéristiques dominantes de notre pays est l'impossibilité à trouver des consensus. On voit bien combien les multiples discours publics tendent à la division. Nous sommes dans une culture des oppositions permanentes, largement exploitée par les hommes politiques. Souvenons nous du ridicule dont on a entouré les propos du Général de Gaulle lorsqu'il parlait sans cesse de la France pour la magnifier. On disait: "Oui, mais il oublie les Français". Je reviendrai, dans un prochain post là-dessus, mais nous devons accepter de réfléchir là-dessus. Nous sommes malades de l'absence de consensus. Quant à parler d'une France-puissance, laissez moi rire. Du reste, la question de savoir si c'est souhaitable est au bas mot à débattre, mais nous ne pouvons pas oublier que nous avons été une puissance, donc la question n'est pas sans pertinence. On ne construit pas en oubliant ce qu'on a été et si l'on veut l'abandonner du moins doit-on le faire consciemment.
-
Commentaires