Eh ben Monseigneur, vous êtes gonflé! Je tombe par pur hasard sur un texte de Mgr Bonny, évêque d'Anvers, en marge de la réunion du 5 au 19 octobre 2014 à Rome un Synode des évêques sur le thème des « Défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation ». On voit bien ce qui est implicitement à l'ordre du jour: tout ce qui a fait tant polémique autour du "Mariage pour tous", et de la situation de la famille.
J'en connais quelques uns parmi ceux qui instrumentent le catholicisme pour leur cause bassement politique qui ne vont pas être contents. Et j'engage absolument les esprits ouverts à lire le remarquable document de ce dignitaire de l'Église.
J'en donne au demeurant de larges extraits, ce qui rend, je m'en excuse, cet article un peu long, d'autant que les réflexions de l'évêque touchent à d'autres domaines que ceux de la famille. Je me permettrai d'ajouter mes propres remarques. Quelques notes dans le texte même de ma part sont en rouge. Voici donc ce qu'écrit Mgr. Bonny.
ET PAN SUR LE PAPE.- "Le fossé croissant entre l’enseignement moral de l’Eglise et les avis moraux des croyants relève d’une problématique dans laquelle interviennent certainement bien des facteurs. L’un de ceux-ci a trait à la façon dont cette matière été largement retirée après le Concile à la collégialité des évêques et liée presque exclusivement à la primauté de l’évêque de Rome.(...) Tout au long du Deuxième Concile du Vatican, les évêques et le pape se sont efforcés d’atteindre le consensus le plus élevé possible. Tous les documents ont été pesés et soupesés, écrits et réécrits, jusqu’à ce que pratiquement tous les évêques puissent y donner leur approbation.(...) De cette sorte de collégialité, il ne resta presque rien, trois ans plus tard, lors de la parution de l'encyclique de Paul VI Humanae Vitae connue pour être beaucoup plus restrictive. Que le pape prenne une décision concernant ‘les problèmes de la population, de la famille et de la natalité’ était prévu par le Concile.Qu’il abandonne en ce cas la recherche collégiale du plus grand consensus, n’était pas prévu par le Concile. (...)
TOUT EST RELATIF.- Il ressort d’ailleurs du document de travail combien peuvent différer les réactions venues des divers continents à propos du mariage et de la famille. Sur ce point, le document préparatoire est honnête et transparent. L’Afrique et l’Asie ont de tout autres vues et expériences que l’Europe et l’Amérique du Nord et même, entre l’Europe Occidentale et Orientale, entre l’Europe du Nord et du Sud, des différences importantes sont à remarquer. Cela n’a pas de sens de nier ou de négliger ces différences. Elles ont vraiment une signification. Malgré la globalisation, bien des développements et défis de ce monde connaissent des parcours décalés dans le temps. Dans ces diverses ‘zones temporelles’, les évêques sont responsables pour la part du peuple de Dieu qui leur est confiée. Ce n’est pas une solution pour eux de dire que telles questions ne posent pas de problème, ou justement en posent, mais à l’autre bout du monde.
Nombre de conférences épiscopales publièrent au moment de l'encyclique Humanae Vitae des déclarations semblables, faisant un appel analogue au jugement personnel de la conscience.Alors même que ces mots sur la conscience étaient bien classiques et prudents, ils ne furent guère appréciés par les défenseurs d’Humanae Vitae. Au contraire, ils furent dépeints comme un baisser de pavillon, comme une désertion à l’égard du pape et comme un levier pour le relativisme, la permissivité et le libertinisme. Ils furent délibérément écartés.(...)
LE JUGEMENT DE CONSCIENCE PERSONNEL.- Suite à cette polarisation, dans l’enseignement de l’Eglise, la conscience fut manifestement reléguée à l’arrière-plan en ce qui concerne la relation, la sexualité, le mariage, le planning familial et le contrôle des naissances. Elle perdit sa juste place dans une réflexion saine en théologie morale. Dans l’Exhortation Familiaris Consortio, c’est à peine si le jugement de conscience personnel sur la méthode de planning familial et du contrôle des naissances est évoqué. Tout s’y trouve mis sous le signe de la vérité du mariage et de la procréation telle que l’Eglise l’enseigne, associée au devoir des croyants de s’approprier cette vérité et d’y répondre. Partant de la loi naturelle, des actes déterminés sont qualifiés de ‘bons’ ou d’’intrinsèquement mauvais’, indépendamment de tout ce qui est personnel : le milieu de vie, l’expérience, l’histoire.(...)
C'EST QUOI LA LOI NATURELLE? .- L’Instrumentum Laboris (document de travail) pour le prochain Synode des évêques est très clair : ‘Pour une immense majorité des réponses et des observations, le concept de “loi naturelle” apparaît, en tant que tel, aujourd’hui, dans les différents contextes culturels, très problématique, sinon même incompréhensible. Il s’agit d’une expression qui est perçue différemment ou tout simplement pas comprise.(...-) Aucun théologien moraliste, aucun croyant ne va contester qu’il y a un sens et une destinée profonde dans la complémentarité de l’homme et de la femme et dans leur fécondité. Dans leur être le plus profond est inscrite une destinée qui est en relation avec le plan créateur de Dieu pour l’humanité et pour le monde. (...) Cependant, un certain type d’appel à la ‘loi naturelle’ dans le contexte éthique du mariage et de la famille continue à entrainer beaucoup de confusion, d’incompréhension et de résistance. L’homme d’aujourd’hui cherche des valeurs qui offrent sens et cohérence à sa vie. Il veut être heureux et rendre les autres heureux. Dans des situations souvent complexes, il veut prendre des décisions responsables de conscience, en pesant et confrontant les différentes valeurs en jeu. Dans ce discernement, il veut tenir compte de l’intention de ses actes, de la proportionnalité entre l’acte et ses conséquences, de son histoire personnelle et de l’évolution qu’il connait. Le résultat de cette démarche n’est pas connu d’avance ; il diffère d’une génération à l’autre, d’un milieu à l’autre. (...)
LA THÉORIE DES CLIMATS.- Comment se comporte l’Eglise devant de pareilles situations ‘irrégulières’ ? A ce sujet, il y a comme une ligne culturelle qui court entre le Nord et le Sud de l’Europe. L’Europe méridionale supporte une bien plus large distance entre la réalité et la norme que l’Europe du Nord. La tradition du droit romain cherchait surtout à établir de belles lois ; qu’elles fussent appliquées était un moindre souci. En Europe du Sud, j’avais l’impression que ce qui s’écarte de l’idéal ne peut ni ne doit être coulé dans des normes. Pour les situations irrégulières, on trouvera bien sur place comment s'en sortir. L’Europe du Nord a du mal avec une telle approche. Ce qui est moins beau ou positif doit aussi, chez nous, pouvoir être canalisé ou réglé par des voies légales. Selon notre sentiment, personne n’est aidé par le silence ou la négation. Au contraire, c’est ainsi que se développe le ‘marché noir’. En outre, l’Europe du Nord préfère moins de lois, mais alors des lois qui soient bien appliquées.
MON COMMENTAIRE.- Ce texte qui admet la place de la conscience individuelle et de variations de pratiques selon les sociétés est implicitement une dénonciation du recours à de supposées sources catholiques en matière de pratiques sexuelles ou de constructions familiales. Le bon père prend acte des diversités. Je vais plus loin que lui sur la supposée "loi naturelle" qui serait l'argument massue. C'est au nom d'une supposée loi naturelle qu'on a décidé que les femmes étaient inférieures. Et, il y a cinquante ans encore, on utilisait l'expression sexe faible en lui attribuant une dimension biologique. C'est en application d'une supposée loi naturelle qu'on a établi une hiérarchie de races. Faut-il rappeler qu'un médecin minable suisse, hystériquement antisémite, Georges Montandon, se chargea sous Vichy de mettre en équation biologique les éléments qui démontraient l'infériorité des juifs, telle qu'elle ressortait de "la nature". La loi naturelle est une construction qui a beaucoup servi au fil des âges. Apparemment, la "loi naturelle", chez les Grecs, ne faisait pas obstacle à l'homosexualité. Nous ne le savons pas par des revues porno extraites des fouilles d'archéologues, mais par les plus grands philosophes ou historiens de cette civilisation qui n'avait pas cru devoir se fabriquer le prétexte d'une "loi naturelle". Au passage, les écologistes feraient bien d'en prendre de la graine. La nature est elle aussi un concept largement construit au fil des siècles. Et l'idée du retour à un "ordre naturel", évidemment immuable, a quelque chose de vaguement suspect.