• Nous voici dans une totale dépendanceIl m'est arrivé, il y a peu, un de ces pépins de la vie courante qui vous gâche la vie: en cours d'interview, mon magnétophone est tombé en panne. Et, étant donné la complexité du matériel, j'ai du solliciter plusieurs concours pour trouver une solution. J'ai alors touché du doigt le niveau de dépendance dans lequel notre civilisation hypertechnicienne nous a mis. Tout le monde se souvient de cette scène du Jour le plus long où une jeep tombe en panne; un officier donne un coup de pied dans le moteur et elle redémarre. Eh bien nous en sommes loin et mon interlocuteur de ce jour-là, le grand spécialiste du Coran François Déroche, par la mansuétude qu'il a manifestée à mon égard, me semblait percevoir cela aussi.

    Nous voici dans une totale dépendancePar pur hasard, il se trouve que je mène en ce moment une petite recherche sur l'histoire de mon village. Elle me fait nécessairement revivre un temps où la dépendance à la technique était interdite, parce qu'impensable. L'aide la plus proche était à 20 km en diligence sur une route poussiéreuse. Il fallait donc être autonome. Je me souviens de conversations avec des paysans avec qui je discutais de l'arrivée des premiers tracteurs et qui me disaient combien leurs ancêtres étaient devenus d'excellents techniciens. Les pauvres! S'ils devaient se dépatouiller aujourd'hui de nos monstres d'électronique. Par parenthèse, je note que c'est la deuxième fois que ma brave Renault Captur, pourtant récente, est rappelée par le constructeur pour vérifications. Preuve que ceux qui seraient supposés savoir ne savent pas autant qu'on le croirait.

    Il y a quelques années, Thomas Friedman avait fait un best seller avec l'idée que "Le monde est plat". Il entendait par là que tout se fabriquait partout, que, pour reprendre son exemple, son ordinateur avait un clavier chinois, des processeurs irlandais, etc. Et cet idiot trouvait ça formidable! La vérité est que ceci fait que nous n'avons, nous malheureux usagers, la maîtrise sur rien. Et combien de fois rencontrons nous de supposés techniciens qui confessent ne pas trop comprendre le fonctionnement de ce qu'ils vendent. Tu parles d'un progrès!


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  • Très franchement, je n'ai pas lu Situation française de Pierre Manent, (photo) mais j'ai lu ou entendu toutes les interviewes qu'il donnait. Je lis ici ou là que ce serait un vieux réac - sans doute parce qu'il se proclame catholique- mais je dois dire que le problème qu'il soulève quant à notre nouvelle laïcité est excellent. Par ailleurs, je me retrouve dans cette analyse: "le problème le plus alarmant qui assiège la France et l'Europe, c'est une désorientation générale, une impuissance croissante à penser et à vouloir un projet commun. L'irruption de l'islam révèle ce problème, l'aggrave sans doute, mais cette désorientation existe indépendamment de l'islam". Je renvoie d'ailleurs ici à une fort intéressante tribune d'Adenour Bidar.

    Nous avons, en effet, sans le dire, fait évoluer le concept de laïcité, probablement même sans intention de le faire et la situation à laquelle nous sommes arrivés est dangereuse.

    Nous en sommes arrivés à dire, en effet, que la religion ne devrait purement et simplement pas exister ce qui est une manière d'apologie de l'ignorance que je ne peux pas accepter. Depuis la nuit des temps, tous les scientifiques nous le confirment, des pratiques religieuses ont existé dans l'humanité.  Ceux qui ont eu la chance d'avoir des conversations avec des éléments pourtant progressistes de nombreuses autres nations, par exemple européennes, leur ont vu ouvrir de grands yeux face à notre supposé "modèle". Et on peut entendre du grand n'importe quoi: je lisais l'autre jour Céline Pina dire à la fois quelque chose de très juste, c'est-à-dire que des imams "veulent créer une société de contraintes sans aucune dimension spirituelle", mais ajouter un peu plus loin que "le politique a aussi une dimension spirituelle". Sur le deuxième point, fermement non. On a pu souhaiter - et bien sûr j'en suis totalement d'accord- qu'on confine les religions dans des espaces restreints, que l'État n'obéisse pas à l'Église, que l'éducation relève de l'État. Excellent. Mais feindre que la religion n'existerait pas ou rêver qu'à la pousser dans un angle on la ferait disparaître est une ânerie. Nier que des siècles de notre histoire ont été marqués par la religion dominante est affolant. Je me demande bien comment feraient les historiens de l'art s'ils devaient se soumettre à ces sottises.

    Ceci a généré une situation très préoccupante lorsque c'est l'islam qui est venu nous rappeler qu'on était dans l'erreur. Nous avons eu - du moins les laïcistes hystériques- le sentiment de redécouvrir le religieux et d'être en quelque sorte insultés par ce qui apparaissait comme un surgissement intolérable. Nous eussions été mieux équipés pour faire face si nous n'avions pas entretenu  cette idée que nous avions atteint le nirvana parce que nous avions - prétendument, mais pas en fait - supprimé la religion.

    Pierre Manent propose une solution provocante: faire un certain nombre de concessions à l'islam en l'échange d'une adhésion absolue à la république et d'un rejet total du communautarisme. En Angleterre, cette proposition pourrait fonctionner - et, du reste, fonctionne. Je n'y crois pas chez nous, en raison précisément de la construction bizarre que nous avons faite. Dans l'idéal, il faudrait que notre conception de la laïcité évolue lentement, simultanément à une évolution plus républicaine de l'islam. En pure théorie, on pourrait l'imaginer, mais je ne crois pas à la capacité des doctrinaires ultra des deux bords de passer des compromis. Donc, c'est triste à dire, il n'y a pas de solution.

    Et, au passage, je trouve assez typique d'une pathologie nationale inquiétante que l'on ne puisse entendre un argumentaire sous prétexte qu'il provient d'une personnalité de tel ou tel bord. J'entends bien sûr parfaitement qu'on le fasse avec Zemmour qui est dans le mouvement de menton, mais pour une fois qu'on a un penseur de droite qui soulève un bon problème, on ne va pas s'en priver. J'avais eu ce même haut le coeur face aux travaux de Christophe Guilluy qui sont d'une excellente facture mais que des aboyeurs avaient aussitôt classé - on se demande s'ils les avaient lus- du côté de l'extrême droite. Dieu que c'est fatiguant!


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