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Par gervanne le 31 Août 2014 à 14:33
L'époque me fait l'effet d'être celle du creux. Du vide. Je suis frappé de ce que, dans la plupart des lieux publics que nous traversons, on nous diffuse de la musique. Et je ne dirai rien de cette musique. De la musique comme s'il fallait absolument que quelque chose remplisse notre cerveau. Prenne la place d'une pensée propre et autonome. Le combat pour une pensée libre, pour une décision individuelle est devenu de plus en plus difficile. Le marketing, qui est la rationalisation de la malhonnêteté, la mise en scène d'un vol élégant, nous réduit en équations. Vous parlez à un professionnel de la téléphonie, de l'automobile, de l'assurance? Vous savez qu'on vous ment. Qui n'a pas considéré, quelques jours après un achat, l'objet acheté avec dégoût: "je me suis encore fait avoir". J'entre dans un supermarché? Je vais me faire avoir. C'est le lieu du vol. Je parle à un assureur? Je sais qu'il me cache quelque chose. Et ce qu'il y a de terrible c'est qu'on forme nos enfants, dans des écoles de commerce, à devenir les voleurs élégants. On emballe ces procédés d'un pathos qui fait chic, mais au total il s'agit quand même de programmer le pigeon.
Et, malheureusement, le discours politique, à son tour est devenu un discours de marketing.
FICELLE MANIPULATRICE.- Les techniques de diffusion de l'information en sont un coefficient multiplicateur. Dans notre temps d'instantanéïté, la vitesse de diffusion d'une connerie ou d'un mensonge est sidérante. Songez à tous ces importants, ministres, députés, PDG, qui sont sur Twitter ou Facebook. Qu elle tristesse! La pensée en 140 signes! Je suis accablé de trouver dans ces multiples lieux électroniques contemporains des esprits supposés raisonnables et surtout cultivés, reprendre des théories qui puent la ficelle manipulatrice, proposer des appréciations instantanées à des situations issues des temps anciens. Parmi mes supposés "amis" sur Facebook, il y a un universitaire très distingué qui "poste" un message toutes les heures lorsqu'il ne va pas bien. Lorsque c'est toutes les deux heures, c'est qu'il traverse une dépression profonde. La visibilité, vous comprenez...
Si quelque chose dans le pays, dans le monde, dans la galaxie ne va pas, il faut que demain ça aille. Tout de suite. Impérativement. L'horizon, c'est le journal de vingt heure. Et dans l'intervalle, on diffusera de la musique. Et encore, cette échéance là est presque du long terme. Parce que, dans l'intervalle, il y aura eu un peu partout des milliers de commentaires sur des blogs, sur Facebook. Et tout cela, comme la goutte d'eau sur le sol, le pourrit, le détruit.
BIEN CACHÉS.- Ici ou là, il y a parfois, cachés dans la broussaille, des vrais porteurs de long terme. Vraiment cachés. Eux ne trépignent pas. Mais alors, pour les trouver, quelle histoire! Ou plutôt, quelle chance. Parce que tandis que tous les autres sont flêchés, balisés, recommandés, "aimés", eux boivent le pastis d'une petite terrasse de bistrot, connus au mieux du serveur. On s'assoit par hasard à la table voisine et, à cause d'un couteau tombé au sol et qu'on ramasse pour eux, la conversation s'engage. Et alors quel bonheur! Mais Dieu qu'il en manque!
Le métier de journaliste devrait être d'aller à la recherche de ceux là. Mais comment faire quand personne n'est prêt à payer pour celà, quand règne, en conséquence, une pure esthétisation des informations, toujours les mêmes, que contrôlent, indirectement, les professionnels de la téléphonie, de l'assurance etc. (Voir plus haut)
Il faut retrouver le temps, éteindre la musique, payer pour cela très cher. En somme devenir un moine de l'information. Se vêtir d'une robe de bure parce que, de toutes façons, on ne pourra rien se payer d'autre.
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Par gervanne le 29 Juin 2014 à 14:14
Nos vies sont de petits récits dans un grand récit. J'emploie à dessein le mot de récit, en ce qu'il peut comporter de part de fiction. Nous savons bien, dans l'examen de nos propres vies, combien nous pouvons les réécrire, le temps passant. Parce que nous relativisons certains épisodes. Parce que, avec le recul, nous comprenons mieux des causes qui, sur le coup, nous avaient échappées.
Il en va de même pour la Grande Histoire. Pendant deux décennies après la deuxième guerre mondiale, par exemple, le récit convenu – le roman si l'on veut- fut que la France avait été grande résistante. Puis, on est largement revenu sur ce récit. Et pendant trente ans au moins, un nouveau récit plus critique s'est imposé. Tout récemment, quelques livres ont réévalué les “petites résistances”. Je pense au livre de Jacques Sémelin, par exemple: Persécutions et entraides dans la France occupée. Mais il n'est pas seul.Je pense aussi à Nelcya Delanoé: "D'une petite rafle provençale"
Bref, il n'y a pas d'Histoire, mais des histoires, un mouvement historique, des récits, on pourrait même ajouter pour mieux souligner leur fragilité: de "belles histoires".On voit bien ce que la formule suggère de "trop belles histoires".
L'INVENTION DE DIEU.- Et une partie de la question est évidemment de savoir ce que vivent les auteurs lorsqu'ils rédigent leurs récits, quel est, en somme, pour eux mêmes, le récit dominant dans lequel ils baignent et qui influence leur plume. C'est un des intérêts majeurs de tous les travaux concernant, par exemple, les circonstances de l'écriture de la Bible, particulièrement de l'Ancien Testament – la Torah, dès lors que ce texte est, aujourd'hui encore, le fondement d'un certain nombre de décisions. Je pense notamment bien sûr à la situation dans la Palestine biblique, l'actuel Israël. De ce point de vue, le texte de Thomas Römer (photo) “L'invention de Dieu” est remarquable, comme du reste, tous ses autres livres sur le sujet. Il se situe dans un courant d'interprétation qui veut qu' au moment où les juifs sont en exil à Babylone, un certain nombre de clercs vont réécrire toute l'histoire du peuple hébreu pour expliquer pourquoi on en est arrivé là. Et c'est ainsi que tout revers des juifs sera toujours expliqué, y compris, bien sûr, dans les siècles antérieurs, par le fait qu'ils auraient désobéi à Dieu. C'est une hypothèse; elle est passionnante; mais surtout elle montre que les grands mythes sont des constructions.
JEU SAUVAGE.- On a beaucoup dit à juste raison que nous étions dans une époque où les grands récits avaient disparu: le communisme est mort, la gloire d'un Occident de liberté tout autant. Nous sommes, c'est vrai, en panne de récit. Le capitalisme n'est pas un récit. Il ne nous raconte rien. Il est simplement un jeu sauvage de forces où les plus forts gagnent, mais, ceci observé, il y avait aussi des plus forts en régime communiste. Ce fut même tout le problème.Faire le constat du "jeu sauvage de forces" n'est pas constituer un récit. Il est trop brouillon. Il part dans tous les sens. Il n'y a rien de clair qui se dessine. Dans un récit, il y a une intention, pas dans le capitalisme, parce que le vainqueur d'un jour - le riche- est le perdant du lendemain. En réalité, les défenseurs du capitalisme ont renoncé à l'idée d'un destin.Dieu pour eux est une commodité. Il est ailleurs. On verra plus tard.
Mais,il faut faire attention. Un récit est une violence souvent. Lorsque le récit fut celui d'Hitler – et l'on sait aujourd'hui combien il fut construit avec un soin dans les détails- ceux qui refusaient le récit, ceux qui n'y croyaient pas, au sens de la foi, furent exterminés. Mais, ce fut vrai avant cela à l'époque de l'Église catholique triomphante (voir l'Inquisition). C'est vrai en terre d'Islam. Il y a là comme un paradoxe dans le fait que, par nature, un récit est fluctuant, il use de “trucs”, et en même temps, il peut être d'une extraordinaire violence.
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