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Par gervanne le 28 Décembre 2014 à 19:43
Peu de gens, sans doute, ont été attentifs à des tractations de l'ombre qui se sont déroulées à Bruxelles entre 2013 et 2014. Il s'agissait de faire marche arrière autant que possible sur une disposition passée plus ou moins inaperçue et qui aurait eu pour objet de permettre aux sociétés financières sans le moindre lien avec l'agriculture - par exemple, les sociétés d'assurance ou de banque- de mettre main basse sur une terre qu'elles auraient exploité sans le moindre lien avec la terre. Cela visait, en particulier les vignes.
On dira qu'après-tout, il n'y a aucune raison que préexiste une manière de lien héréditaire sur le droit d'exploiter, bien que le maintien d'une agriculture familiale soit tout de même la garantie d'une complexe lien social, confus, difficile à définir, pas non plus idéal, mais qui est le ciment d'une certaine société. N'idéalisons rien, ni l'hérédité agricole, ni la supposée vertu des changements radicaux.
FAIRE PISSER LA VIGNE.- Non, le vrai argument, particulièrement pour la viticulture, était le risque de la dénaturation pure et simple du produit, c'est à dire la volonté de "faire pisser la vigne" comme disent les professionnels pour maximiser les profits. Dans un autre domaine, celui de l'élevage, on vient de voir ce que ça donne avec la fameuse ferme aux mille vaches dont on ne parviendra pas à m'expliquer que c'est une situation normale.
Tout cela était à peu près passé inaperçu, en tous cas du grand public, car la décision était ancienne et on avait habilement pris une échéance lointaine. Dans la grosse année qui vient de s'écouler on a assisté, notamment au Parlement européen, à un rétropédalage affolé, ainsi que dans différentes administrations européennes (l'affaire n'est pas que française et il n'y a pas que viticulteurs français qui paniquaient) et il semble qu'on ait limité les dégâts.
Et voilà que, par amusement, j'écoute les nouvelles de Radio Canada. Et voici ce que ça donne:
Comme quoi, ce lien social est bien menacé partout, y compris dans un des pays les plus libéraux du monde.
Deux choses très liées l'une à l'autre: D'une part, il est évident qu'il y a une tactique de la part des grands groupes qui consistent à proposer des réformes à des échéances extrêmement éloignées, au point que les parlementaires, sur le coup, n'y prêtent même pas attention, incertains qu'ils sont d'être encore en fonction à ce moment là. D'autre part, et corrélativement, il serait très intéressant que soit étudiée la folle énergie perdue à réparer des conneries ainsi faites.
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Par gervanne le 10 Décembre 2014 à 01:12
En 1983, le philosophe Jean-Paul Dollé avait publié un excellent livre aux non moins excellentes éditions Lieu Commun de l'encore moins excellent Jacques Bertoin (hélas décédé), qui s'intitulait "Monsieur le Président, il faut que je vous dise..." C' était une attaque contre une vision caricaturée du monde de l'entreprise (je devrais dire "monde de l'entreprendre") systématiquement présentée comme le lieu de l'exploitation, de la triche et de l'abus. Précision capitale: Jean Paul Dollé était non seulement marxiste mais de surcroît maoïste. C'est dire qu'il y avait de quoi être surpris de le voir embarqué dans cette galère. Il avait un argument tout à fait étonnant: l'entreprise, écrivait-il, est un des lieux les plus laïcs qui soit, puisqu'on ne peut pas y croire au Bon Dieu pour obtenir ses résultats, mais en soi-même seulement pour réussir.
EXASPÉRATION.- Je ne peux pas cacher que c'est une opinion qui m'a marqué et conduit en particulier dans l'exaspération où je suis de voir le monde politique dans une ignorance crasse, honteuse, scandaleuse de la petite entreprise qui ne l'intéresse aucunement et au contraire dans une fascination de la grande entreprise dont je me demande tout simplement si elle mérite ce nom.
Le niveau de déformation de la réalité du monde de l'entreprise est saisissant. Regardez ce tableau et dites moi s'il est conforme à ce que vous lisez dans votre journal, à ce que vous entendez des politiques sur l'état de l'économie. La réponse est évidemment non. Qui parle des entreprises dormantes, sans salarié? Qui parle de plus du quart de la population salariée dans des entreprises de 1 à 9 salariés? Ce que vous voyez filmer, ce dont on vous parle c'est de 0,00014% des entreprises ou dans le meilleur des cas de 0, 06%.
REVENONS SUR TERRE.- Ah oui, va-t-on me dire, mais tout de même, les grosses entreprises emploient tellement que cette distorsion est normale. SVP revenons sur terre: le tableau ci-dessous à droite est très éloquent. Non seulement les petites entreprises sont les plus nombreuses - ce qui est évidemment normal- mais ce sont celles de la catégorie qui emploie le plus.
En conséquence, lorsqu'on a dit: Renault, Peugeot, l'Aérospatiale, on n'a pas dit tant que ça.
Or l'inégalité honteuse de traitement entre les différentes catégories d'entreprises est telle qu'à un moment donné, on se demande si on parle de la même chose. Cette réflexion m'est venue à l'annonce des fuites sur le traitement fiscal très particulier dont ont bénéficié des groupes gigantesques au Luxembourg. Il n'est pas acceptable que l'on se pâme devant les performances de tel ou tel de ces grands groupes - performances technologiques ou économiques- lorsque leurs vraies performances consistent à ne pas se soumettre aux mêmes règles.
"NON FAUSSÉE"? .- La théorie libérale à l'état pur, comme l'on sait, c'est d'établir une concurrence "libre et non faussée". Là-dessus, on repassera. La réalité de la situation telle qu'elle ressort de l'affaire luxembourgeoise est qu'il s'agit de fausser autant que possible le jeu. Un très célèbre groupe français du bâtiment est connu d'abord pour avoir d'excellents avocats qui contestent tous les points des contrats le liant à ses clients. C'est là sa principale performance. Quelles sont celles des entreprises que vous pouvez connaître qui ont les moyens de se payer un bataillon d'avocats? Et naturellement, tous ceux de mes lecteurs qui ont eu à faire avec des géants de la téléphonie ou de l'assurance en connaissent la touchante loyauté vis-à-vis du client.
On est là dans le très concret de l'inégalité dans la compétition. J'avoue avoir espéré un moment que la gauche aurait une action décisive, magistrale, pour la petite et moyenne entreprise. Mais, tétanisée par sa frange la plus ultra qui n'aurait jamais accepté que l'on s'intéresse à l'entreprise - comme si l'économie était une sorte d'abstraction- elle n'a pris que des mesurettes. La droite c'est au moins plus clair: elle émarge aux multinationales. M. Dassault est sénateur de quel groupe politique déjà?
GARAGE.- On se gave de l'histoire de Microsoft qui, parait-il, a débuté dans un garage, mais, même si je veux bien prendre acte d'un effort de simplification apparemment très contesté, aucun pouvoir n'a le courage de prendre ça vraiment à bras le corps. Ce qui débute, débute forcément petit. Si tous les efforts ne sont pas concentrés à ce stade là, auprès des plus petits, on n'arrivera à rien. Et même une fois la naissance bien acquise, c'est là que doivent se trouver les soutiens. Au nom des fameux 27% de salariés qui, sans possibilité d'influence politique, y travaillent. Il est évidemment consternant que le Medef prétendent représenter ce monde, lui qui est envahi de cadres du plus niveau qui ne possèdent rien du capital de leur entreprise et qui n'y risquent par conséquent vraiment pas grand chose...à part un parachute doré. Mais force est de constater que le jeu des financements de partis, des relations, des camaraderies d'écoles fausse absolument une juste représentation de la réalité des forces économiques du pays.
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Par gervanne le 29 Novembre 2014 à 11:45
Il faut absolument lire le dernier numéro de la remarquable revue Books. Il fait de la situation allemande actuelle un portrait terrifiant: sous-investissement massif de la puissance publique qui aboutit à des situations ahurissantes. Les routes sont devenues si mauvaises que les camions qui devraient gagner le port de Hambourg préfèrent aller à celui d'Anvers, écoles en mauvais états, canaux - pourtant essentiels pour le transfert du frêt- avec des écluses effondrées, ponts dont pas moins de 10 000 devraient être refaits. Ajoutez à cela deux données qui battent en brèche des idées acquises: la productivité d'une population n'est pas terrible parce que le système de formation ne donne pas les résultats escomptés (si l'apprentissage marche, les universités sont mal classées) et une concentration de la performance sur l'automobile qui masque d'autres situations beaucoup moins brillantes. Par exemple, les patrons allemands, considérant l'état de leur pays, préfèrent de loin aller investir à l'étranger. Ceci sans rien dire d'une donnée désormais bien connue: le vieillissement de la population allemande qui ne peut que la contraindre à encourager une immigration massive beaucoup plus de l'Est que du Sud, du reste.
POPULATION SACRIFIÉE.-Tout cela ressort d'une série de livres publiés en Allemagne, par des auteurs allemands, et parfois par des patrons. Le magazine a eu la bonne idée de demander un plaidoyer en faveur de l'Allemagne au démographe Emmanuel Todd. Son argument tient en cette formule: "mollo mollo, n'exagérons rien. L'Allemagne a de beaux restes." Il ajoute l'idée que au fond, par sa sphère d'influence, l'Allemagne aujourd'hui va jusqu'à l'Ukraine. Mais surtout, il développe une idée qui justifie que je fasse ce post parce qu'elle nous interroge, nous, Français. Pour lui, un consensus a existé en Allemagne de tout temps au profit d'une Allemagne-puissance qui s'imposerait en Europe fut-ce au détriment des bonheurs individuels. Une Allemagne de la population sacrifiée au profit d'un collectif glorifié. Alors que dans l'Europe du Sud (nous compris, bien sûr), on privilégie l'idée du bonheur individuel.
Cette thèse très pertinente pose de plein fouet la question des consensus que l'on peut trouver dans une nation. Il est assez probable qu'une des caractéristiques dominantes de notre pays est l'impossibilité à trouver des consensus. On voit bien combien les multiples discours publics tendent à la division. Nous sommes dans une culture des oppositions permanentes, largement exploitée par les hommes politiques. Souvenons nous du ridicule dont on a entouré les propos du Général de Gaulle lorsqu'il parlait sans cesse de la France pour la magnifier. On disait: "Oui, mais il oublie les Français". Je reviendrai, dans un prochain post là-dessus, mais nous devons accepter de réfléchir là-dessus. Nous sommes malades de l'absence de consensus. Quant à parler d'une France-puissance, laissez moi rire. Du reste, la question de savoir si c'est souhaitable est au bas mot à débattre, mais nous ne pouvons pas oublier que nous avons été une puissance, donc la question n'est pas sans pertinence. On ne construit pas en oubliant ce qu'on a été et si l'on veut l'abandonner du moins doit-on le faire consciemment.
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Par gervanne le 27 Novembre 2014 à 16:36
Les tripatouillages d'argent ont encore de beaux jours devant eux. J'apprends qu'en Suisse, les achats devraient continuer à pouvoir être réglés à coup de mallettes de billets. Le sort des paiements en cash est l'un des points les plus controversés de la réforme contre le blanchiment d'argent proposée par le gouvernement helvétique pour répondre aux recommandations du Groupe d'action financière (GAFI) et éviter que la Suisse n'atterrisse sur une liste noire de l'OCDE. Une des chambres du Parlement avait accepté la restrictions concernant les paiements de plus de 100 000 francs (82 000 euros), mais l'autre a furieusement refusé.
Comme mes lecteurs l'avaient parfaitement compris - et je m'excuse auprès d'eux de devoir faire cette mise au point- ce sont, évidemment les fabricants de mallettes qui ont fait pression pour que cette pratique soit maintenue. C'est pure diffamation que de faire quelque lien que ce soit avec un prétendu secret bancaire, qui d'ailleurs n'existe plus.
J' attire cependant l'attention de mes aimables lecteurs sur l'extrême médiocrité des mallettes fabriquées en Chine qui présentent l'évident inconvénient de risquer de craquer en pleine rue avec le risque consécutif de devoir ramasser les billets égayés sur le trottoir. Il est vrai qu'aucun Helvète ne vous fera l'offense de ramasser un billet ainsi égaré. Mais il se trouve, hélas, qu'il y a de plus en plus d'étrangers en Suisse. C'est du reste exclusivement dans un souci de défense des mallettes (et un peu aussi de leurs porteurs) que l'UDC - le parti de droite dure de Suisse- a fait adopter une mesure restreignant le nombre d'étrangers dans le pays. On est bien gouvernés!
Je recommande par conséquent les mallettes Hermès, très adaptées pour une somme allant jusqu'à 100 000 francs. Au delà, faut voir. A ma stupeur, j'ai découvert sur le net une de ces mallettes à vendre d'occasion. D'OCCASION! Comment! Les riches en sont à revendre leurs mallettes Hermès! On parle tout le temps du chômage, mais ça, on n'en parle pas. Notez bien que la mallette en question était à vendre 16 500 euros, ce qui représente à peu près le prix d'une révision des 20 000 km pour une Ferrari.
Quand je pense au malheureux vendeur! Ca va me gâcher ma journée.
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Par gervanne le 10 Juillet 2014 à 22:15
Pourquoi cette déprime? D'où vient que nous ne croyons plus à grand chose? Il est difficile de ne pas observer une certaine convergence. Longtemps, il y eût, hors de la politique, dans la culture, dans les sciences, dans l'économie, des gagneurs qui incitaient à la fierté. Les classements internationaux nous disent que notre système éducatif français est à plat ou pas loin. Les grandes voix intellectuelles françaises qui traversaient la planète ne sont plus guère présentes. On fait un foin formidable de Thomas Picketty qui le mérite sûrement, mais ça ne fait pas beaucoup. J'ai cru comprendre que dans un certain nombre de disciplines classiquement fortes en France, les mathématiques par exemple, nous avions perdu les premières places. Il y eût un temps où, dans disciplines de l'industrie classique, nous étions respectés. Nous avons absolument raté le virage des technologies de l'information pour lesquelles nous ne pesons pour rien. Même pas le plus petit gadget qui ferait dire: "Ah! ces frenchies quand même". Non. Facebook et tous ses clones sont des inventions américaines, l'important se passe là ou en Asie. Le rapport Gallois, seule pièce majeure du quinquennat de Hollande jusqu'ici, est accablant. Malheureusement, il ne fait rien avancer. L'effondrement de Peugeot est un mystère. Peut-on m'expliquer d'où il vient au fond, par delà des péripéties capitalistiques dont on sait bien qu'elles sont anecdotiques? L'important est ailleurs: Est-ce qu'une certaine communauté professionnelle qui avait été foutue d'envahir le globe par ses productions – souvenez-vous de la 404 à plateau en Afrique- en ait pratiquement disparu. C'est vraiment l'affaire de la mayonnaise cela: il y a des circonstances où elle ne prend pas. Et tout notre problème est là.
Le monde politique est un élément du décor. Habituellement, il est comme en toile de fond. On le regarde de temps à autres pour s'en amuser. Mais, en réalité, il est porté par un mouvement général. Et lorsque la dynamique est là, il est dynamique.Et s'il est médiocre qu'importe, le reste compense.
Chez nous, il s'est passé une drôle de chose. Comme le restant de la société s'assoupissait, le monde politique est passé au premier plan. Par surcroît, en son sein, Nicolas Sarkozy avait la fascination des projecteurs. Il les a concentrés sur lui-même. Mais comme il n'y avait pas de vraie dynamique derrière, il s'est écroulé. Il n'y a pas que le jeu de l'acteur, il faut qu'il y ait le scénario. Nous avons tous compris que ça n'était pas Hollande qui avait gagné mais Sarkozy qui avait perdu.
Et voilà qu'avec les affaires de l'UMP nous prenons la mesure à la fois de l'ampleur des turpitudes de ce monde dont je ne sais si elles sont plus ou moins amples que celles des autres. Mais nous mesurons aussi que derrière, décidément, hors de ce champ politique, il n'y a pas grand chose. Je suis horrifié de ce que j'entends de la jeune génération sur la France, un désarroi, un mépris...
Il n'y a pas eu libéralisation, il y a eu abandon, renoncement. Les discours sur le libéralisme et la mondialisation sont courts. Ils ont ceci de satisfaisant pour leurs auteurs que, truffés de chiffres, ils donnent l'illusion d'une expertise. Mais il ne s'intéressent pas à la volonté. Et comme ceux qui peuvent encore tenir le monde – enfin pas le monde, leurs petits intérêts de ce jour, à peine ceux de demain- sont très décidés, ce sont eux qui s'imposent. En réaction, l'immense besoin d'une volonté claire s'affirme.Une volonté publique, une volonté commune.
J'étais très frappé de lire dans Médiapart une longue enquête auprès de jeunes cadres de l'UMP qui disent leur dégoût et leur désarroi mais qui ajoutent: “il faut que nous réfléchissions à ce que nous voulons, à ce que sont nos valeurs”. Ca pourrait paraître très bien, mais pardon messieurs-dames: si vous êtes dans un parti, n'est-ce pas parce que vous voulez quelque chose, parce que vous avez une intention? Qu'est-ce que c'est que ce monde où on commence par adhérer à un parti pour ensuite se demander ce que sont les valeurs à y défendre? Il faut remettre de l'ordre dans tout cela.
PS.- Lorsque j'ai cherché sur internet une photo d'une 404 à plateau, l'essentiel de celles que j'ai trouvées représentaient des voitures dans des casses... quel symbole!
Alors, pour me venger, j'ai recherché une photo d'une splendeur française dont on a même oublié que nous avions su la concevoir: la Facel Vega, ci-contre (j'aurais pu choisir la DS 21). Petit rappel, ce bijou (dont il est juste de reconnaître qu'il peina à vivre) avait été lancé par Jean Daninos, le frère de l'écrivain Pierre Daninos (Les carnets du Major Thompson).
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